Atmosphère médiatique

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Quand la sphère médiatique parle de la bande dessinée, c’est en général pour trois raisons.

La première, c’est pour vous informer (vous qui n’avez jamais lu de bande dessinée, bien sûr) de son étrange succès auprès de la jeunesse ou des classes (toujours) laborieuses, et ainsi de vous montrer leur peu (voir absence) de discernement intellectuel. Les journalistes se font alors (pseudo) sociologues et utilisent une de leur expression favorite : Phénomène social ! ! !
Chez eux, c’est surtout synonyme de mode et cela témoigne plus de leur peur (communicative ?) d’être largué, plutôt que de leur esprit critique. Si l’article devient prospectif (95 % de chance qu’il le soit), vous pouvez être sur qu’il abordera alors le sempiternel débat de la bâtardisation ou de la disparition de l’écrit/livre, hypersacré dans notre civilisation d’origine judéochrétienne (amen) !

La deuxième raison est la (relative) vitalité économique du neuvième art dans la galaxie éditoriale. On vous fera lire beaucoup de chiffres, de pourcentages, de parts de marchés et inévitablement les noms de Tintin, Astérix et Lucky Luke (la Sainte Trinité francobelge recordman des ventes, l’exemple à battre ou à égaler pour les éditeurs de « bédé »)[1] Les mots nouveauté, qualité, créativité, intelligence, exigence artistique, etc … sont bien entendu évités.

Enfin, la dernière raison de parler de la bande dessinée, c’est pour montrer son influence sur l’Art contemporain,[2]) le cinéma et la littérature. Pour ces derniers, on les compare à la bande dessinée quand il s’agit de qualifier une histoire pleine de rebondissements, avec un héros héroïque, de l’action, des cascades, etc …[3]
Pour l’art contemporain, il s’agit de montrer comment ces courageux et révolutionnaires artistes (qui en sont des vrais pas comme les auteurs de bandes dessinées) s’emparent de cette culture populaire pour en faire des chefs-d’oeuvre. Un peu comme le lotus poussant sur le tas de fumier !
Si Lichenstein et Erro ont réussi à construire quelques oeuvres remarquables sur ce principe, c’est toujours au détriment de la bande dessinée et cela aboutit toujours à des expositions comme High and Low (devinez qui est le low …).

La bande dessinée est au bout du compte toujours perdante. On s’aperçoit qu’elle n’arrive pas à sortir son image médiatique du bourbier populaire (souvent tendance populiste)[4]
Mais, surtout ne vous apitoyez pas sur elle, car finalement elle n’a que ce qu’elle mérite (la salope) ! Elle n’en finit pas depuis des décennies de se rouler avec délectation dans la médiocrité (celle du fric en particulier) et ne sait que reproduire (réifier ?) les clichés qu’elle a développés.

Nous avons parlé de la relation art contemporain-bande dessinée, imaginer l’inverse est impossible, ou alors on est vite affligé …
Le plus paradoxal est que cette impossibilité vient moins du milieu de l’art contemporain (même si celui-ci apparaît dans une tour d’ivoire institutionnelle inébranlable) que des auteurs de bandes dessinées eux même. Ceux-ci ont une vision de l’art déplorable et surtout étriquée (composée principalement du médium peinture et sculpture).
S’ils s’attaquent à la peinture, c’est seulement pour y transposer leurs petites recettes stylistiques, graphiques ou formelles (comme Bilal, par exemple) et par la même d’essayer de récupérer l’aura de cet art, pour mieux tenter de rentrer dans le panthéon artistique.
Aucun n’est capable de définir le médium bande dessinée et d’envisager son apport sur cette base aux autres arts … Il ne s’agit évidemment pas de rendre exclusivement responsables les auteurs de bandes dessinées.

Les éditeurs, les lecteurs, les « collectorofan », tout ce petit monde refermé sur lui-même, aux discours uniformes, apologétiques et stériles ont aussi leurs parts importantes de responsabilité.
Tant que la bande dessinée n’aura pas conscience d’elle même (au-delà de la redite stylistique), et tant qu’elle n’appréhendera pas justement tout le reste de la création artistique, elle ne pourra changer sa triste image médiatique et produira toujours 90 % d’idioties qui la définiront et cacheront son essence.

A du9, on aimerait contribuer (très) modestement à faire baisser ce pourcentage. Comme vous, non ?

Notes

  1. Voir l’édito de J-C. Menu dans Lapin n°1 sur la différence entre bande dessinée et « bédé ».
  2. Je devrais plutôt formuler ma phrase ainsi : « c’est montrer que l’art contemporain s’en inspire » … Précisons aussi que pour les médias, l’art contemporain n’est évidemment que celui des temples/églises muséales (ou autres institutions) où l’on s’arrête devant chaque oeuvre comme à un chemin de croix et où l’on s’apitoie sur certains artistes/saints martyrs : « Houlala ! Sculpter ça avec une seule oreille ! Quel taaaalent ! Eh, chérie, ça te fait pas un peu penser à du Van Gogue ? » (sic) … (Sick ? Yes I am !
  3. Dans ce cas, l’image médiatique de la bande dessinée peut se résumer alors par le célèbre refrain : « Shebam ! Pow ! Blop ! Whizz ! » de la chanson Comic Strip de Gainsbourg.
    Avec un tant soit peu de culture, on sait très bien que la bande dessinée s’est inspirée d’abord de la littérature et du cinéma (qui s’est lui même inspiré de la littérature..). En fait, l’action et l’aventure sont quasiment à l’origine de la littérature (cf Homère ou La chanson de Roland, par exemple). le comparatif littérature-cinéma à la bande dessinée est surtout symptomatique de l’amnésie culturelle (ou de la peur de se souvenir) de la médiasphère …
  4. Bien sûr, l’idéal n’est pas de quitter le bourbier populaire pour tomber immédiatement dans le non moins nauséabond et stérile bourbier élitiste. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! ! ! OK ! ?
Humeur de en septembre 1995