BD cradingues
Un regard partial et condescendant sur les cultures BD
Les Auteur·rice·s, ces sentinelles autoproclamées de la page, comme iels se délectent de leur éminence imaginaire ! D’un geste de la plume, iels oignent les quelques élu·e·s, leur accordant l’accès à leur illustre royaume taché d’encre. « Vous, avec le roman graphique avant-gardiste et inachevé, avancez ! Mais toi, colporteur·rice de clichés de super-héros, va-t’en ! » décrètent iels du haut de leurs trônes de papier non couché. C’est un véritable système féodal, où les seigneur·e·s hipster des fonds dégradés, des polices italiques et des couleurs pastel de la risographie imposent le servage à ceux qu’iels jugent dignes de l’être. Et malheur au créateur·rice qui ose remettre en question la sainteté de son fief rempli de croquis ; il·elle se retrouvera exilé·e dans les terres arides de l’obscurité artistique, ses rires étant considérés comme les rires creux des indignes. Dans ce grand théâtre du graphisme, le sens du droit des artistes de bande dessinée est aussi gonflé qu’une bulle sur le point d’éclater. Les histoires d’horreur de l’industrie, chuchotées comme des histoires de fantômes autour d’un feu de camp, servent de fables d’avertissement pour les non-initié·e·s : « Méfiez-vous des gardien·ne·s, car iels gardent le chemin du zinefest avec un zèle inégalé. » Les rires des artistes résonnent dans les couloirs, rappelant avec effroi que ce sont iels, et iels seuls, qui détiennent les clés du royaume… ou plutôt de l’un des royaumes.
La fragmentation de la communauté de la bande dessinée est un témoignage flagrant de la marginalisation du médium, une cacophonie éclatante de cliques insulaires, chacune trop préoccupée par son propre nombrilisme pour remarquer le sol qui s’effondre sous ses pieds. Ce n’est plus l’âge d’or, c’est l’âge de la chambre d’écho, où le rugissement autrefois puissant de la bande dessinée en tant que force culturelle a été réduit à un gémissement, perdu dans le vide des reels instagram. Les Auteur·rice·s, autrefois avant-gardistes de la contre-culture, président aujourd’hui un royaume de poussière, leurs œuvres émergeant à peine de la surface de la conscience publique, sans parler d’un impact durable. Dans leur quête désespérée de pertinence, ces communautés fragmentées s’accrochent à la paille, confondant le son de leur propre voix avec le pouls de l’industrie, reconnaissant dans l’interprétation permanente de la mélancolie masculiniste de Chris Ware une marque d’intégrité artistique.
La vérité est aussi amère qu’indéniable : le média qui a autrefois défié les normes et repoussé les limites n’est plus qu’une relique pittoresque, dont le potentiel d’impact a été dissipé par les mains mêmes qui l’ont jadis porté au sommet. C’est ainsi que la communauté de la bande dessinée continue de se fracturer, chaque éclat reflétant une image déformée de ce qu’elle était autrefois. Les Auteur·rice·s BD, ces scribes cyniques des marges de la société, se retrouvent à prêcher pour le chœur des risographes. Leurs messages de désaccord et de désillusion se répercutent sur les murs d’une chambre de plus en plus étroite. Dans leur marginalité, iels sont devenu·e·s les conservateur·rice·s d’un musée de l’insignifiance, où les grands récits autobiographiques d’un camping d’antan prennent la poussière, sans être touchés par les mains d’une nouvelle génération qui trouve ses révolutions non pas dans la rotation d’une page, ni dans le glissement d’un écran.
Les BD, ce refuge pulpeux et taché d’encre de l’artiste pitoyablement bourgeois, où le cynisme n’est pas seulement un outil, mais une arme aiguisée à point sur la pierre à aiguiser de la montagne d’apathie de la société qui ne cesse de croître. C’est ici, dans les panneaux et les caniveaux sanctifiés de ce médium sous-estimé, que la créateur·rice vieillissant·e trouve le réconfort, un endroit où sa main disciplinée peut créer des mondes libres de la confrontation qu’iel évite si désespérément. C’est un havre de paix, une forteresse de solitude où les ricanements et les moqueries d’un monde qui s’est éloigné de la simplicité du bien contre le mal sont étouffés par le grattement du stylo sur le papier, le clic d’un clavier ou le glissement silencieux d’un stylet numérique.
Dans la bande dessinée, l’artiste cynique règne en maître, son regard las du monde étant tourné vers l’intérieur pour disséquer la condition humaine avec la précision d’un chirurgien – ou peut-être plus justement, d’un croque-mort. Et pourtant, malgré le mépris qu’ils peuvent avoir pour le monde, ces auteur·rice·s sont disciplinés dans leur travail. Chaque ligne, chaque mot, chaque couleur est méticuleusement choisi pour traduire l’ampleur de leur résignation. Iels mettent à nu les folies de l’humanité avec un sourire en coin, un regard complice qui dit, à la manière de Larcenet ou de Trondheim – l’un plus petit-bourgeois que l’autre : « J’ai vu la vérité de ce monde, et elle est aussi risible que lamentable. » Leurs personnages ne sont pas des héros au sens traditionnel du terme ; ils sont imparfaits, ils sont brisés, ils sont nous. Et à travers cette lentille, l’auteur·rice· peut critiquer la société qui l’a battu·e, tout cela dans le confort de sa table à dessin, sa seule confrontation avec la page devant et les échéances qui se profilent comme des spectres au-dessus de son épaule.
Les traditions artisanales vénérées dans le domaine de la bande dessinée ne sont rien d’autre que le râle d’agonie d’un média qui s’efforce de trouver sa place dans une époque qui l’a depuis longtemps dépassée. Ces techniques désuètes, qui étaient autrefois la marque du dévouement d’un artisan, sont aujourd’hui les chaînes qui lient l’auteur·rice de bande dessinée à un navire en perdition, un navire que le reste du monde a abandonné pour les vaisseaux plus lisses et plus rapides que sont les concepts et les idées. S’accrocher à ces méthodes est un aveu clair de défaite, un signal que l’artiste s’est retiré·e dans les bras réconfortants de l’obsolescence, se contentant de produire des œuvres qui trouvent un écho auprès d’un public local de plus en plus restreint. « Tout le monde est célèbre pour 15 personnes », a écrit le musicien et écrivain Momus. Fétichisant les outils de leur métier comme s’il s’agissait de reliques sacrées capables de repousser la marche inexorable du progrès, les l’auteur·rices de bande dessinée peinent dans leurs ateliers, produisant des pièces qui ont plus leur place dans un feed instagram poussiéreux que sur nos étagères.
Sans oublier la grande illusion du succès sur les médias sociaux, un mythe aussi tenace que les super-héros qui en ornent les pages. La réalité ? Un confinement solitaire entre les quatre murs de sa propre cellule de création, le seul contact avec le monde extérieur étant le clic froid et impersonnel d’un bouton de partage. Les auteur·rice·s de BD, dans leur infinie sagesse, ont décidé que la proximité physique engendre la médiocrité, et ils travaillent donc seul·es, avec pour seuls compagnons les personnages auxquels ils donnent vie. En fin de compte, les gardiens restent seuls, leur forteresse impénétrable, leur droit inattaquable, leur sens de l’humour aussi exclusif que les pages qu’iels gardent si jalousement.
Le 24h BD. Ce spectacle sacré où les gladiateurs du monde des romans graphiques se battent contre l’ennemi le plus redoutable qui soit : leur propre procrastination. Regardez-les s’enchaîner à leur bureau, leurs cris d’angoisse diffusés dans le Colisée numérique pour l’amusement des masses qui mangent du pop-corn. « Ils semblent dire : « Voyez ma souffrance, alors que j’esquisse vaillamment mon chemin à travers cette odyssée autofictionnelle alimentée par la caféine ». Il s’agit d’un marathon moderne à rebondissements : au lieu de la gloire de la prouesse physique, ces artistes recherchent l’honneur douteux d’avoir produit un livret A5 de 16 pages pliées et agrafées dans le temps qu’il faut à la Terre pour tourner une fois sur son axe. Et quel spectacle, plein d’autoflagellation et de mélodrame, alors qu’ils courent contre la montre, buvant des Red Bulls et urinant dans des gobelets en plastique, chaque ligne étant un testament de la noble lutte contre l’ultime adversaire : une échéance imminente.
Mais n’oublions pas le véritable art dont il est question ici : l’art de transformer le travail en un appel public à la validation. « Regardez mes œuvres, puissants, et désespérez… ou au moins retweetez », semblent-iels implorer, les yeux injectés de sang par la lueur de leurs écrans. Le spectacle n’est rien de moins qu’un cirque numérique, avec jonglerie de panneaux et acrobaties d’intrigues. Les auteur·rice·s se contorsionnent dans des bretzels d’angoisse créative, tout en diffusant leur épreuve avec la ferveur d’un animateur de téléthon lors de la dernière tentative de collecte de dons. C’est un véritable festin de voyeurisme, où le public assiste à la nuit blanche de quelqu’un d’autre sous prétexte de soutenir les arts. Et les artistes, bénis soient-ils, se jettent sur l’attention comme des chats sur un bol de lait, leur humour plein d’autodérision étant un cri à peine voilé : « Regardez-moi, je souffre pour mon art ! ».
L’article a été initialement écrit pour l’Institute of Network Cultures à Amsterdam, le 12 août 2024, dans le cadre du projet .expub (Creative Europe 2023-2025) au sein d’un consortium entre Echo Chamber (Belgique), Aksioma (Slovénie), l’Institute of Network Cultures (Pays-Bas) et Nero Editions (Italie). Le .expub explore un modèle opérationnel pour les éditions élargies et l’expérimentation de nouvelles formes d’édition.
Traduction : Xavier Löwenthal, crédits d’image : How to be a Comics Artist in One Lesson, par Frank King, 1915.
l’autre bande dessinée



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