Juste un détail

de

Pourquoi au bout de presque un an ne me reste-t-il de la lecture de Come Prima, que cette image d’une botte de foin circulaire dans un champ crépusculaire ? Peut-être parce que cet anachronisme[1] renvoie pour moi à la médiocrité de l’œuvre et de sa réception. Parce qu’au bout de 97 pages, cette image a symbolisé une œuvre de bon élève certes, mais normée comme un téléfilm de France Télévisions. Une œuvre en colimaçon de paille, gentille, agréable, mais centripète en sa manière, comme un auteur se regardant faire.

Ce détail d’une case n’a rien à voir avec le pinaillage. Peu importe l’erreur en soi. Aucune bande dessinée utilisant le passé ne peut se targuer d’être sans anachronismes. Et puis le pinaillage qui fît les beaux jours de la revue Bodoï s’attardait principalement aux erreurs de dessin : inversions d’une case à l’autre, doigts surnuméraires dans une main, erreurs de perspective, etc. Ici le détail serait intéressant dans ce qu’il cherche à exprimer de manière plus ou moins consciente et dans l’enjeu de lecture qu’il impose. Représente-il une botte de foin dans les années 1950 ou ne dit-il pas tout simplement — dans le langage simple de son auteur — la campagne au crépuscule dans l’idée actuelle d’une époque passée où il infuse son récit ?

Ce que ce détail a signifié pour moi, serait-il l’absence d’acuité implicite que l’auteur se fait de son médium ? Un prétexte pour devenir — ou pré-image de soi — plutôt qu’un enjeu à être ? Une facilité relative plutôt qu’une invention curieuse ?
A ce signifiant, mon goût prononcé pour la neuvième chose associé à l’arrière-fond d’une vie entière auraient-il étendu/distordu son signifié ? Rempli la gouttière d’un sens qui pour d’autres, la majorité, n’existerait pas ? Manque de connivence pour un «comme avant», d’un comme si de l’innocence et des première fois ? Non consentement de suspension d’incrédulité et divorce à l’italienne ?

L’absence de personnages dans cette case fait que ce qui n’est qu’un décor ailleurs devient acteur. L’apparence fait présence là où elle se faisait oublier par des vies agitées et bavardes en premier plan. Par ricochet, et profitant des/du sens assoupi(s) par l’arrivée de la nuit, elle leur en renverrait l’artificialité.
La cohérence d’une œuvre est-elle proportionnelle à la maîtrise — qui ne serait pas celle visible — de son auteur ? Ou bien est-ce la décohérence qui l’est à la culture de son lecteur ? Mais en faut-il pour achopper en se demandant pourquoi, dans la dernière aventure de Jérôme K. Jérôme Bloche (intitulée Post-mortem), celui-ci ne porte pas de casque quand il circule en solex dans Paris ?

Aujourd’hui plusieurs moyens s’offrent aux auteur(e)s pour éviter ce genre de détails pouvant faire saillie auprès de certains lecteurs trop regardeurs. Faire des recherches plus poussées sur leur sujet, avoir des éditeurs/lecteurs dignes de ce nom, ou tout simplement éviter la réalité et son passé.
Pour ce dernier cas, il s’agira soit de créer son propre univers[2], soit d’investir un univers[3], soit de faire de l’anachronisme un genre en soi[4] voire une liberté, souvent vendue comme une impertinence créative. Dans tous les cas le détail ne sera pas évité mais au contraire multiplié, pour les rendre accrocheurs, voire les transformer en références ou clin d’œil. A défaut de cohérence, privilégier celui de la connivence.

Notes

  1. Dans les années 1950, l’industrialisation de l’agriculture n’avait pas encore transformé les paysages de cette manière. Le dessinateur aurait dû dessiner des meules de foin, ou bien des bottes de foin rectangulaires. Les bottes circulaires à «haute densité» sont apparues à la fin des années 1980, pour les machines disproportionnées ad hoc.
  2. Qui peut aller de ceux «dits personnels» se confondant parfois à l’idée de style, à ceux typique de la «fantasy» ou de la science fiction.
  3. Enième suite d’un classique franco-belge, travailler pour un éditeur propriétaire de personnages, ou bien poursuivre un genre et ses codes.
  4. Par exemple, la série Jour J.
Humeur de en septembre 2014