Littérature adaptée comparée

de

La comparaison se fait toute seule, sur les présentoirs de librairies spécialisées. Un peu à part la réédition du Maupassant de Dino Battaglia, et là, en pile avec les nouveautés, bien visible, le troisième volume de l’adaptation de Proust par Heuet.

Deux époques, deux démarches. L’une tout en ombre(s), l’autre en ligne claire.
Le maître italien ouvre ses planches, y laisse le texte littéraire en liberté, qui n’impose sa présence ni plus ni moins qu’en narratifs ouverts. Pas de pseudo défit chez Battaglia, pas de mise à niveau, de nivellement par le bas, mais accompagner, s’inspirer, se saisir de l’histoire plutôt que d’épisodes, de caractères plutôt que de personnages. Son dessin d’ombre ne dévoile que la direction et l’intensité du texte littéraire devenu source lumineuse. C’est au plaisir de cette lumière que Battaglia nous relie, nous expose.

Du coté de Heuet on enferme et cerne d’un trait les personnages. Un trait de la même largeur que celui des lettres, faisant accroire qu’il délie le texte proustien, l’étale en image. Mais celui-ci ne se laisse pas faire. Indocile, sur-présent, de ses fameuses longues phrases il entrave le dessinateur et laisse les images de coté. Il faut donc souvent le mettre en case, sans dessin mais en typographie « bédé ». Dire qu’il en devient triste comme l’animalité exposée dans un zoo, ne me paraît pas excessif. L’album partage de nombreux points avec ce type d’institutions. Il se veut « digest », « résumé de la nature d’un monde », avec en sous-tension une vision de la bande dessinée mineure pour ne pas dire enfantine. Pour les uns, il s’agira de lire Proust à bon compte ( pour « connaître l’histoire »). Pour les autres, de se gausser de ces clins d’œils, de cette naïveté si caractéristique de ce prétendu neuvième art.
Heuet s’en tirera toujours par l’hommage, par la soumission au texte (il n’y a pas meilleur camouflage). Ajoutons la couverture lorgnant du coté de la prestigieuse collection Futuropolis/Gallimard et on acquière davantage en crédibilité. Le produit est œcuménique, satisfera à la fois une éducation nationale ne sachant plus comment faire lire les classiques qu’elle asphyxie, et les proustiens toujours prompts à guetter l’hommage comme des piliers de comptoirs attendant une tournée générale.

Se rassurer en se disant que Battaglia est réédité aujourd’hui, qu’il n’y a pas de hasard, que ce n’était pas le cas hier.
Je regarde « l’autre bande dessinée » et je me dis que l’époque est belle, qu’elle n’est pas celle du Proust de Heuet. Lui c’est la nostalgie sacralisée, Battaglia d’hier est la bande dessinée de demain.
C’est donc paradoxalement qu’ici la ligne sera claire : du9 tout de mots passants, refuse « la madeleine » figée, réduite à une métaphore pour faire « cultivé » dans les dînés. Juste comme Battaglia, lecture et relecture pour plaisir, la bande dessinée en liberté à l’esprit.

P.s. : Il existe pourtant une adaptation merveilleuse de Proust en bande dessinée, réalisée par le talentueux François Ayroles à la page 52 de L’OuBaPo n°1. Il réussit, en plus, le tour de force d’adapter toute l’œuvre de Proust en une seul planche de six cases ! C’est sans temps à perdre que je vous encourage à sa recherche…

Humeur de en juin 2002