Vues Éphémères – Avril 2015

de

Après un lancement un rien solennel lors du dernier Festival d’Angoulême, il faut reconnaître que l’on était resté sur sa faim du côté des Etats Généraux de la Bande Dessinée. Seule nouvelle des derniers mois, l’ouverture des « Cahiers de doléance » aux propositions… propositions encore à venir. Certes, nous étions prévenus — il s’agit là d’un projet s’inscrivant dans la durée, qui demandera un temps de réflexion, et pour lequel il faudra s’armer de patience avant de pouvoir en récolter les conclusions.
Mais d’ores et déjà, il est indéniable que l’initiative a fait bouger les lignes des discours triomphalistes auxquels la bande dessinée semblait être abonnée. Du Festival d’Angoulême au Salon du Livre (en passant par le Grand Palais et son cycle « bande dessinée »), Benoît Peeters s’est retrouvé sur tous les fronts, incarnant parfaitement la cause : posé, parlant bien, apportant une forme de gravitas, non pas syndicaliste revendicateur que l’on pourrait écarter d’un revers de main, mais proposant au contraire un visage des plus acceptables pour la bande dessinée — résolument plus littérature que petits miquets. Et d’asséner partout la même vérité : la bande dessinée, hier élève modèle de l’édition, se révèle en crise, ses quelques best-sellers désormais éclipsés par la masse de ses auteurs en détresse.

Coup de théâtre ou presque, les éditeurs viennent lui apporter leur soutien, et joignent leur voix à cette nouvelle petite musique. Alors qu’hier ils se voulaient rassurant sur leur propre activité (s’empressant de souligner combien l’enfer, ou tout du moins la surproduction, c’était les autres), les voici qui déclarent aussi que l’heure est grave, et affirmer s’associer aux auteurs dans cette démarche. Moment-clé de ce revirement, probablement la prise de conscience du dernier festival de Saint-Malo, et cette « grève des dédicaces » qui avait concrétisé, pour la première fois, la large portée du mouvement initié autour du SNAC-BD. Fait remarquable, Télérama s’en était fait le relais dans un article sans fard.
C’est d’ailleurs, il me semble, l’un des rares exemples de travail journalistique qui se soit véritablement engagé sur le sujet. Ailleurs, on constate plutôt une presse qui se contente d’être le passeur d’un discours sur la bande dessinée qu’elle ne semble plus capable de produire. Et de se contenter de faire du copier-coller sélectif dans le rapport de l’ACBD en guise d’analyse de marché (qu’il s’agisse du Figaro, de Libération et même Livres-Hebdo), ou d’aligner les citations et les extraits de discours quand il s’agit d’évoquer la marche des auteurs à Angoulême (à nouveau au Figaro, dans Le Monde ou du côté de Livres-Hebdo).
Etonnamment, ils se montrent autrement diserts lorsqu’il s’agit de s’enthousiasmer pour les records de ventes en salles d’enchères (comme ici Le Figaro ou là Le Monde, pour ne prendre que ces deux exemples). Comme si, habitués de longue date à ne communiquer que des bonnes nouvelles, ils retrouvaient là leur zone de confort, embrassant à nouveau le discours ronronnant de ces dernières années.

Ainsi, se révélant finalement bien plus « simples lecteurs » que véritables journalistes[1], les « spécialistes » montrent leurs limites face à une bande dessinée qui, non contente de s’être résolument installée dans l’âge adulte, n’hésite pas à faire état de préoccupations du même ordre et s’interroge sur son devenir et son évolution.

Notes

  1. Se rendant coupables de trop souvent donner dans le « discours amoureux » dénoncé par Bruno Lecigne il y a plus de trente ans.
Humeur de en avril 2015