Vues Éphémères – Avril 2019

de

Nouvelle collection chez Glénat, consacrée au cinéma. L’annonce est tombée la semaine dernière, accompagnée d’une présentation argumentée sur le site de l’éditeur :
« Cette nouvelle collection de romans graphiques a précisément pour ambition de vous raconter l’histoire du 7e art à travers le destin de ces femmes et de ces hommes. Ainsi, les biographies de « 9½ » — dont le nom évoque à la fois l’un des plus grands films traitant du cinéma (8½ de Federico Fellini) et le 9e Art — se divisent en deux catégories : les grands réalisateurs et les grands acteurs. »
Et de fait, les deux premiers titres à paraître sont Lino Ventura et l’œil de verre (Arnaud le Gouëfflec et Stéphane Oiry), et Sergio Leone (Philan et Noël Simsolo), avant que d’autres ne viennent les rejoindre. Et histoire de préciser un peu plus l’ambition de cette collection, le communiqué nous fournit « Le mot de l’éditeur »[1] : « Les biographies dessinées de « 9½ » se veulent des ouvrages d’auteurs, c’est pour cette raison que nous employons le terme de « roman graphique ». La pagination de chaque album sera importante et libre, l’écriture érudite et accessible en même temps, et les styles graphiques de chaque auteur choisis pour retranscrire au mieux l’esprit de la personnalité abordée. Notre souhait est de combler aussi bien les néophytes désirant découvrir le cinéma que les cinéphiles les plus exigeants. »
Enfin, pour justifier (en quelque sorte) cette création, le communiqué n’hésite pas à souligner une proximité historique et formelle en évoquant « des arts de l’image narrative », avant de conclure : « La naissance, aujourd’hui, d’une collection du 9e art explicitement dédiée aux icônes du 7e relève par conséquent d’un prolongement logique. »[2]

La question de la « collection » a toujours occupé une place particulière dans la bande dessinée — jouant à nouveau sur la polysémie du terme[3]. Collection de lecteur, que l’on accumule ; et collection d’éditeur, que l’on complète — l’une et l’autre se répondant, dans un échange où, comme dans certaines relations, une forme d’automatisme se substitue parfois à l’intérêt sincère des premiers jours. La presse se fait d’ailleurs régulièrement le relais de ces dynamiques, continuant de peindre le portrait d’une lecture-passion, avec une fascination qui hésite entre l’émerveillement et l’inquiétude devant les milliers d’albums de ces collectionneurs qui reconnaissent souvent n’avoir plus le temps de tout lire.
Du côté des éditeurs, les catalogues s’organisent quasi-systématiquement autour de collections, mais avec des différences d’approche : pour certains, la collection se contente regrouper des œuvres publiées dans le même format de publication ; d’autres y adjoignent un concept éditorial plus ou moins précis, quand d’autres encore (plus rares) écartent totalement l’idée d’un format standardisé pour se focaliser sur une unité thématique[4].
Depuis le lancement de sa collection Vécu avec le magazine du même nom en 1985, Glénat a toujours cultivé ces collections « à concept » — dont les dernières incarnations sont Vinifera (« l’histoire passionnante du vin dans une collection de bande dessinée en 30 albums ») ou Un pape dans l’histoire (« redécouvrir l’Histoire du monde occidental, à travers le prisme des grands papes. Les albums mêlent aventure, intrigues et précision historique »).

Pour revenir à cette nouvelle collection , on comprend bien que l’approche ne se veut pas aussi « industrielle » que pour les deux collections que je viens d’évoquer : après tout, on nous assure que « Les biographies dessinées de 9½ se veulent des ouvrages d’auteurs, » ce que confirment les premières livraisons. Mais on peut s’interroger sur cette volonté, peut-être simple réflexe, que de vouloir une fois de plus organiser ces initiatives dans le cadre d’une énième collection[5]. Comme si certains éditeurs, eux aussi, étaient finalement atteints de collectionnite.

Notes

  1. Cette formulation a de quoi surprendre, au sein d’un communiqué officiel qui constitue après tout, dans son ensemble, un message de l’éditeur. Mais s’illustre peut-être là l’ambiguïté qui existe en français autour du terme d’éditeur, désignant à la fois « l’accoucheur d’œuvres » et « le producteur de livres ». Ce serait donc Glénat-publieur qui serait à l’origine de ce communiqué, dans lequel on laisserait s’exprimer Glénat-éditeur, pour reprendre la distinction proposée par Jean-Louis Gauthey.
  2. On notera cependant que les auteurs n’ont pas attendu une collection « explicitement dédiée » pour évoquer leur amour pour le cinéma. De fait, Luz vient de sortir son Hollywood Menteur (Futuropolis), l’année passée nous a donné au moins Avec Edouard Luntz (Nadar & Julien Frey, Futuropolis), Midi-Minuit (Doug Headline & Massimo Semeramo, Dupuis) et Sir Alfred n°3 (Tim Hensley, Dargaud)… et l’on pourrait en citer bien d’autres, dont par exemple Pour en finir avec le cinéma de Blutch.
  3. Voici les différents sens que relève le Larousse : « collection : nom féminin (latin collectio, -onis)
    – Réunion d’objets rassemblés et classés pour leur valeur documentaire, esthétique, pour leur prix, leur rareté, etc. : Collection de tableaux.
    – Réunion, série d’ouvrages du même auteur, ou de même thème : La collection des œuvres de Racine.
    – Ensemble de livres publiés chez le même éditeur et ayant une caractéristique commune (thème, format, présentation, etc.) : Collection historique.
    – Recueil d’une série de numéros d’une publication : La collection du « Journal officiel ».
    – Grande quantité de personnes réunies, ayant certaines caractéristiques : Une collection d’imbéciles.
    – Ensemble de modèles présentés à la presse et à la clientèle par les professionnels de l’habillement, en particulier par la couture création. (La couture création est tenue de présenter deux collections annuelles d’au moins 75 modèles originaux.)
    – Terme parfois utilisé en mathématiques comme synonyme de ensemble.
    – Accumulation de liquide physiologique ou pathologique (sang, pus, etc.) dans une cavité de l’organisme. »
  4. Il me semble que c’est cette absence de format qui distingue fortement, par exemple, les éditeurs alternatifs français de leurs équivalents nord-américains — quiconque aurait dans ses étagères les productions de Fantagraphics saura de quoi je parle. Mais le label Porn’Pop de Glénat, justement, souscrit également à cette approche, du moins dans ses premières parutions.
  5. La page « catalogue » du site Glénat liste pas moins de 42 collections, dont sont absentes Vinifera, Un pape dans l’histoire, , mais aussi Porn’Pop ou Glénaaargh !, laissant envisager une « écurie » bien plus fournie qu’indiqué.
Humeur de en avril 2019