Vues Ephémères – Décembre 2006

de

DC Comics ne se contente plus de lecteurs — il leur faut désormais des lectrices, et pas n’importe lesquelles : des adolescentes. C’est tout du moins ce que l’on peut lire dans l’édition du New York Times du 25 Novembre dernier, où l’on découvre les ambitions de Minx, le nouveau label de l’éditeur qui devrait être lancé en Mai 2007. La première livraison[1] sera accompagnée d’une campagne publicitaire de $250,000 (soit la plus importante en 30 ans pour DC), le tout destiné à toucher des «young adult female readers». Une révolution ? Pas si sûr.
Alors oui, on pourrait citer l’exemple de Vertigo, le label de DC destiné à un public «autre» que le tout-venant superhéroïque et qui, presque quinze ans après sa création en 1993, est toujours en activité. Mais il faut rappeler que Vertigo n’était pas issu d’une volonté marketing cherchant à créer quelque chose de toutes pièces, mais avait plutôt résulté d’une dynamique commune entre plusieurs titres à part, plus adultes et avec des thématiques qui se répondaient — Saga of the Swamp Thing, Hellblazer, The Sandman, Animal Man ou encore Shade, The Changing Man. Auteurs, séries, lecteurs — tous étaient déjà là, et il suffisait «simplement» de leur offrir une enseigne derrière laquelle tous allaient pouvoir se rallier.
On se souviendra par contre (toujours chez DC) de l’expérience Helix — lancé en 1996 à grand renfort de publicité, soutenu par une floppée de noms alléchants, avec la volonté affirmée de conquérir de nouveaux lecteurs. Se voulant le pendant «science-fiction» au «fantastique» de Vertigo, le label n’avait survécu que deux ans, avant que sa dernière série phare, Transmetropolitan, ne quitte le navire pour rejoindre Vertigo, justement. Les raisons de cet échec : ne pas avoir su être au bon endroit, pour les bons lecteurs, et dans le bon format de publication.[2]

Sans vouloir jouer les Cassandre, il faut bien reconnaître que Minx part avec un certain nombre de handicaps — dont en premier lieu, le titre du label[3] susceptible de séduire les 13-18 ans mais pas forcément des parents un rien conservateurs. Plus critique, la difficulté que pourrait rencontrer une collection de «one-shots» publiés au compte-goutte à s’installer dans des rayons aujourd’hui dominés par de nombreuses séries manga, aux lectrices captivées et impatientes de lire le prochain volume.
Enfin, un lecteur un peu cynique pourrait noter que, parmi les sept titres annoncés, tous tournent autour d’un personnage principal féminin, mais que seules deux auteurs femmes participent à l’aventure. Certes, avec des noms comme Derek Kirk Kim, Andi Watson ou Marc Hempel, il y a de quoi piquer la curiosité, mais rien n’est plus efficace pour assoir la légitimité d’un tel label qu’une femme auteur partageant son expérience — et, éventuellement, suscitant des vocations.[4]

Pendant ce temps-là, de ce côté-ci de l’Atlantique, les filles, on ne connait pas. Confrontés eux-aussi à l’arrivée des manga dans le paysage, les éditeurs franco-belges y sont également allés de leurs nouvelles collections — avec un enthousiasme marqué pour la jeunesse, comme en témoignent les toutes récentes «Puceron» et «Punaise» chez Dupuis (3-6 ans), «NG» chez Soleil (8-12 ans), «Shampooing» chez Delcourt ou encore «Onomatopée» chez Lito. Sinon, on teste de nouveaux rythmes et formats de parution — collection «32» chez Soleil, la publication de L’Etrangleur de Tardi en feuilleton par Casterman, ou encore la publication accélérée de deux séries longues chez Delcourt (L’Histoire secrète en 7 volumes et La Loi des 12 tables en 6 volumes, le tout en un an).
Et pour ce qui est des filles, grandes ou petites ? Hors le manga, point de salut — ou presque. Il n’y a bien que la collection «PEPS» d’Albin Michel qui s’intéresse à ce lectorat féminin, lectorat qui ne se retrouve sans doute pas dans les thématiques des best-sellers de la bande dessinée — science-fiction, héroic fantasy, histoires d’agents secrets, de playboys milliardaires ou de tueurs à gages. C’est clair, ce n’est pas avec du Largo Winch qu’on attrape les donzelles …

Les sorties de Décembre 2006
– BSK – Dans ma villePLG
Et c’est à peu près tout. Pas grand-chose chez les indés, on se consolera en lisant le tome 5 du Chat du Rabbin, intitulé Jérusalem d’Afrique.

Requiescat in Pace
Jerry Bails (73 ans), fondateur de l’un des premiers fanzines dédiés aux comics, Alter Ego, en 1961.
Luciano Bottaro (75 ans), créateur de Pepito.
Dave Cockrum (63 ans), co-créateur des New X-Men.
Ishikawa Ken (58 ans), co-créateur (avec Nagai Go) de la série classique de robots géants Getter Robo.
René Sterne (54 ans), auteur de la série Adler et récent repreneur, avec Jean Van Hamme, de Blake et Mortimer.
– John Styrk Jr. (32 ans), créateur de Boomtown Scabs.

La plus grande convention de bande dessinée du monde
Et bien sûr, ça se passe au Japon, où deux fois par an, le Comiket (contraction de «Comic-Market»), spécialisé dans la production amateur et le dôjinshi, attire les foules dans les salles du Tôkyô International Exhibition Center, plus connu sous le surnom affectueux de «Big Sight». Et pour ceux qui souhaiteraient fêter le nouvel an d’une façon très originale, sachez que le Comiket 71 se déroulera du 29 au 31 Décembre prochain. Avis aux amateurs.

Notes

  1. Qui débutera avec The P.L.A.I.N. Janes (Cecil Castellucci & Jim Rugg) pour le lancement en Mai, et devrait continuer au rythme d’un nouveau titre par mois. Parmi les autres titres annoncés, on trouvera Clubbing (Andi Watson & Josh Howard), Good as Lily (Derek Kirk Kim & Jesse Hamm), Re-Gifters (Mike Carey, Louise Carey, Sonny Liew & Marc Hempel), Confessions of a Blabbermouth (Mike Carey, Louise Carey & Aaron Alexovich), Water Baby (Ross Campbell) et Kimmie66 (Aaron Alexovich).
  2. Plus précisément, Helix avait souffert d’une présence limitée de ses titres dans les librairies de science-fiction, où se situait son lectorat potentiel principal ; d’un intérêt limité pour la science-fiction des habitués des librairies de comic books, où il était majoritairement distribué ; ce à quoi il fallait ajouter les réticences des lecteurs de science-fiction aux publications périodiques mensuelles — ce qui était le cas de la plupart des titres du label.
  3. Qui pourrait se traduire par «coquine». Ironiquement (ou pas), c’est également le titre d’une mini-série de Peter Milligan et Sean Phillips, publiée en 1998 chez … Vertigo.
  4. Rappelons que la bande dessinée américaine est une industrie largement dominée par les hommes, de la production au lectorat — au point qu’une association, Friends of Lulu, existe depuis 1994 aux USA, et vise à y promouvoir la présence des femmes.
Humeur de en décembre 2006