Vues Éphémères – Été 2016

de

Et la troisième dimension fut…
Le mois dernier, Gabriel de Laubier publiait, sur Sketchfab, une réinterpréation en volume d’un strip de Calvin & Hobbes. Notons qu’il n’en était pas là à son coup d’essai : quelques mois plus tôt, c’était un strip de Peanuts qui bénéficiait du même traitement — mais, les voies de la viralité étant impénétrables, cette première tentative était restée sans écho.
D’emblée, avouons que le choix de ces deux augustes références est assez audacieux : tant chez Bill Watterson que chez Charles Schulz, préside une maîtrise du trait immédiatement reconnaissable, et qui n’est ici que très imparfaitement approchée. Intrigant, l’objet tient d’ailleurs plus de la scène de théâtre que d’une véritable 3D, l’envers du décor restant désespérément vierge. Plus encore, chacune des cases devient comme une petite pièce où évolueraient les personnages (dans un dispositif qui pourrait évoquer le Fenêtre sur cour d’Hitchcock), opérant une étrange réduction de l’espace qui n’était pas présente dans le strip initial. A moins que l’on ne se retrouve, comme dans le cas de l’adaptation de Peanuts, devant une boule à neige d’une nouvelle espèce…

« Tout ça pour ça », serais-je tenté de dire — d’autant plus que le festival étatsunien SPX vient de révéler l’affiche de sa prochaine édition, signée Jim Woodring et envisagée dans une « fausse 3D » (le terme technique étant « autostéréoscopie »), qui est pour l’occasion beaucoup plus stimulante.
Qu’on ne se méprenne pas : je n’enterre pas la démarche de Gabriel de Laubier, qui marque visiblement le début d’une recherche (les deux exemples cités étant les seuls travaux de ce genre que l’on peut voir sur son compte), démarche qui doit forcément présenter son lot de tâtonnements et d’expérimentations.

Mais il faut bien reconnaître que cette première étape montre déjà ses limites : non seulement le dispositif interactif ne sert qu’à rendre compte de la transposition en volume[1], de plus le choix de réinterpréter des strips[2] envisagés avant tout pour un support bidimensionnel amène à restreindre les potentialités spécifiques du volume tout en s’obligeant à solutionner les propositions impossibles du dessin originel[3].
Cependant, il y aurait peut-être à creuser autour de l’idée d’une succession de points de vue, comme autant d’étapes de la narration — évoquant alors certains tableaux classiques où, sur un même espace, se jouent les différentes séquences d’un récit[4].

Dans les réflexions qui entourent la bande dessinée numérique et les nouvelles formes qu’elle pourrait prendre, on assiste souvent à des propositions qui, en introduisant sons, animations ou troisième dimension, ne viennent que souligner à nouveau (« sursignifier », pourrait-on dire) des éléments déjà présents, sans véritablement ouvrir d’espaces d’expression. Dès lors, la voie pour éviter d’aboutir à une œuvre qui serait seulement « augmentée » pourrait être de l’envisager différemment : non pas comme bande dessinée en premier lieu, mais bien plus comme création numérique. En quelque sorte, oublier la forme, pour mieux la réinventer.

Notes

  1. Comme on le fait généralement pour présenter certaines installations à base d’anamorphose, par exemple pour le travail de Felice Varini ou de George Rousse.
  2. Forme particulièrement codifiée et contrainte dans son occupation de l’espace.
  3. On prendra pour exemple la position de Snoopy sur sa branche, qui devient incongrue dans sa version en 3D. Ou encore le médaillon où figurent Calvin et Hobbes au début de la deuxième bande, qui introduit un étonnant surgissement.
  4. Je pense à ce que l’on peut voir sur le panneau gauche des triptyques du Jugement Dernier et du Chariot de Foin de Jérôme Bosch, qui figurent l’épisode de l’expulsion d’Adam et Ève du Jardin d’Eden, mais il existe bien d’autres exemples
Humeur de en juillet 2016