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Illustration du bandeau (c) Pierre La Police

Vues Éphémères – Été 2018

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Vendredi 6 juillet 2018 : contre toute attente, le grand Barnum de la « Coupe du monde de la FIFA 2018 » (21e du nom), accouche d’une demi-finale inédite opposant la France à la Belgique. Deux jours plus tard, trois « Unes » de journaux du dimanche présentent l’affrontement sous les traits de personnages de bande dessinée : alors que le Journal du Dimanche reprend une case tirée de Astérix chez les Belges, Soulcié revisite pour L’Equipe la couverture du Objectif Lune des aventures de Tintin, tandis que Aujourd’hui/Le Parisien montre côte à côte les effigies respectives du fier Gaulois et du jeune reporter[1]. Thèse, antithèse et synthèse, si l’on veut.
« France-Belgique : Tintin et Astérix inspirent la presse, » remarque Le Figaro, un peu surpris, à qui l’évidence n’a visiblement pas sauté aux yeux (son inventaire — exhaustif — se limitant aux trois titres évoqués plus haut). Dans Libération, c’est Laurent Joffrin qui, dans son édito du 9 juillet (intitulé « Poésie »), se laisse aller à évoquer Astérix — mais surtout pour rappeler la fameuse phrase de César : « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus courageux. » Enfin, Le Monde est passé à côté de l’occasion, se contentant de proposer un commentaire purement factuel et sportif de cette « demi-finale entre voisins ». Bref, la presse n’est pas si inspirée que ça, pour le coup.

Mais, me direz-vous, quand même, la Une de l’Equipe, la Une du Journal du Dimanche, la Une de Aujourd’hui/Le Parisien, ce n’est pas rien ! C’est la bande dessinée que l’on célèbre, c’est la bande dessinée qui est invitée à la fête !

Sauf qu’il y a bien longtemps que Tintin ou Astérix ne sont plus de la bande dessinée. Certes, l’un comme l’autre bénéficient d’une riche littérature qui vient explorer, expliquer, éclairer en quoi ce sont deux œuvres exceptionnelles et importantes — peut-être même au-delà de ce qu’elles seraient réellement[2]. Mais depuis le Général de Gaulle (et son fameux « mon seul rival international, c’est Tintin »), ces personnages sont devenus des icônes, dont on célèbre régulièrement les valeurs — valeurs incarnées (comme Astérix, « l’esprit bagarreur et franchouillard de la France profonde ») ou valeurs financières (résumé par Capital, avec la franchise décomplexée des magazines économiques : Astérix et Obélix, c’est avant tout « un business en or »). Des icônes, donc, qui depuis longtemps existent bien au-delà des seuls albums, déclinées tour à tour en séries télé ou au cinéma, en produits dérivés ou en parc d’attraction.

D’ailleurs, dès le lendemain du match, l’attention s’était portée ailleurs[3]. Ainsi, le 12 juillet, L’Équipe titrait « Les revenants » (clin d’œil probable à la série de Canal+), alors que Libération évoquait « Le système Dédé ». Comme quoi, dans la marche inéluctable de l’actualité, la bande dessinée n’avait été invitée que pour servir un bon mot.

Notes

  1. Dans les pages du Temps, le dessinateur Chappatte propose bien mieux, avec son « Astérix vs Tintin au Pays des Soviets ».
  2. Ces dynamiques un rien idolâtres m’évoquent un peu l’effet Larsen, dans le renforcement circulaire qu’elles opèrent — négligeant de considérer que, peut-être, bien d’autres œuvres pourraient se prêter aux mêmes analyses, et se montrer aussi fécondes dans les multiples lectures que l’on pourrait en faire.
  3. Il n’y a que Soulcié, qui dans les pages de L’Équipe, « filait la métaphore » (si l’on peut dire) et prolongeait la couverture du 8 juillet avec un « On a marché sur de Bruyne » pas du goût de tout le monde.
Humeur de en juillet 2018