Vues Éphémères – Février 2022
C’est une photo balancée sans commentaire, sur twitter, d’un bureau studieux où s’entassent dossiers, livres et objets personnels. Au centre, griffoné sur un post-it, on peut lire : « Ouverture du pass culture aux 15-16-17 ans, Fait », et quelque chose qui pourrait être des initiales. « EM » comme Emmanuel Macron, puisque c’est lui qui a posté cette photo. C’est une image qui voudrait faire croire qu’elle a été prise puis envoyée sur le moment. D’ailleurs, la montre n’indique-t-elle pas 16h17, soit exactement l’heure de de ce tweet ? Mais c’est en réalité une image de com’, trahie par l’alignement trop parfait de ce post-it avec les bords de l’image, ce post-it trop régulier pour être honnête.
C’est une image de com’, et par conséquent tout ce qui s’y trouve a été mûrement pesé, longuement réfléchi, soigneusement agencé. En témoigne la montre, avec son bracelet bleu-blanc-rouge, mais aussi cette pile de dossiers, à gauche, qui laisse discrètement apparaître un « (Mon)sieur le Président de la République », manière subtile de rappeler qui est à l’origine de cette image, et de l’action qu’elle est censée célébrer. Et puisque Roland Barthes a démontré (dans son Mythologies) qu’il n’y a pas de mal à sur-signifier les choses, ce post-it sur le Pass Culture s’accompagne d’une pile de livres, parce que voilà, c’est cela, la Culture. La Culture, ce sont tout d’abord les Mémoires du Général de Gaulle dans la Pléiade, mais aussi le livre Espérer pour la France de Hubert Germain et Des siècles d’immortalité d’Hélène Carrère d’Encausse ; et tout derrière, le tome 100 de One Piece, que l’on devine plutôt qu’on ne le lit, et qui, du fait de son sens de publication japonaise, n’offre pas son dos à l’objectif du photographe. Mais pour le reste, tout cela est méticuleusement étagé, dans un désordre organisé afin de laisser facilement reconnaître chacune des couvertures.
Alors, puisqu’il s’agit d’une fausse spontanéité mais d’un vrai message politique, on s’attarde, on s’interroge, on s’essaie à l’interprétation. Il y a ces petits ratés que l’on écarte rapidement — comme ce message écrit à l’encre bleue, alors qu’il n’y a qu’un feutre noir dans l’image, probablement faux-raccord involontaire. On revient à ces livres, quatre livres offerts en symboles… mais en symbole de quoi ? Certainement pas de la Culture au sens large, désormais rendue plus accessible aux 15-16-17 ans, mais des lectures du moment de notre Président. Un Président très tourné vers une certaine idée de la France, avec au programme, Gaullisme, résistance et Académie Française. Rien de très surprenant, et peut-être même une sélection véritablement sincère, ce qui expliquerait que l’on trouve, à côté de deux ouvrages relativement récents (car parus en 2020), l’ouvrage d’Hélène Carrère d’Encausse publié en 2011. Et donc également ce tome 100 de One Piece (paru en décembre dernier), suggérant que ce Président ravi de partager un dessin signé de l’auteur il y a six mois est un véritable fan à jour sur les aventures de Luffy et ses amis.
Enthousiasme sincère ou tentative de séduction pas vraiment subtile ? Peu importe pour certains défenseurs de la « cause manga », ce qui compte, c’est que le manga soit désormais reconnu comme une composante centrale de la culture. En 1970, durant la conversation avec André Malraux allait devenir le livre Les chênes qu’on abat« , le Général de Gaulle affirmait, sur le ton de la boutade : « Au fond, vous savez, mon seul rival international c’est Tintin. » Signe des temps, un peu plus de cinquante ans plus tard, à la veille d’entrer en campagne pour sa réélection, Emmanuel Macron s’affiche (discrètement) en afficionado de One Piece. Non pas rival, mais (au mieux) allié de circonstance.
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