Vues Ephémères – Mars 2013

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La semaine dernière, Ankama a «officialisé» une réduction importante de la voilure du côté de l’édition, avec l’arrêt de ses séries manga encore en cours (soit La paire et le sabre, Hitman – Part Time Killer, Togainu no Chi et Black Joke). Je mets «officialisé» entre guillemets, car si la plupart des sites spécialisés ont relayé l’information, les canaux officiels de l’éditeur (site et page facebook) restent à ce jour d’une discrétion exemplaire sur le sujet. Cependant, dans un message relayé sur BDGest, l’attachée de presse maison a apporté quelques éclaircissements sur les raisons de cette nouvelle : «Etant donné le marché BD actuel, nous avons besoin de recentrer le catalogue et de concentrer notre énergie sur un programme légèrement réduit. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons dû annuler certains titres, ce fut un choix difficile mais indispensable économiquement parlant. […] Aucune suite de BD dite franco-belge n’est annulée à ce jour.»[1]

Dans le paysage éditorial français, Ankama est pourtant une structure à part : avant tout éditeur de jeu vidéo, sa branche «bande dessinée» s’est avant tout développée dans le cadre d’une approche transmédia autour de sa marque Dofus. L’élargissement à la publication de manga ou d’œuvres originales non rattachées à l’univers des jeux est donc à considérer comme exploratoire, tant du point de vue de la création (cf. le label 619 de Run) que du point de vue commercial. Alors que la nouvelle création vidéoludique d’Ankama, Wakfu, pourtant annoncée comme le successeur de Dofus, peinerait à décoller, on imagine le besoin de réduire les dépenses inutiles, encouragé en cela «étant donné le marché BD actuel», pour reprendre l’euphémisme de l’attachée de presse.[2] Venant d’un éditeur classé ces dernières années entre la huitième et la dixième place sur le segment du manga, l’annonce a de quoi marquer les esprits.

Je ne chercherai pas ici à faire une analyse plus poussée, ou à me lancer dans des considérations de marché en crise (ou pas) — ceci sera l’objet de la Numérologie à venir. Je note cependant que, comme c’est devenu la norme ou presque du côté du manga, les aspects les plus techniques de la vie d’un éditeur (des nouvelles grilles de prix aux arrêts de commercialisation en passant par les interruptions de collection) sont dûment relayés et commentés par la communauté internaute.
A l’inverse, il semblerait que le pendant franco-belge (à défaut d’une meilleure appellation) continue d’entretenir un flou artistique sur sa situation en coulisse, gardant un silence pudique sur les désherbages de catalogue et autres aventures éditoriales malheureuses. Pourtant, derrière l’image longuement entretenue de «grande famille»[3] surgit de plus en plus souvent la réalité des choses, l’importance croissante des réseaux sociaux fissurant la prose contrôlée des communications officielles.[4] Il est peut-être temps de rappeler que même dans les familles les plus unies, il est parfois salutaire de procéder à une bonne mise au point franche et directe. Surtout en temps de crise.

Notes

  1. La dernière phrase est à prendre avec des pincettes, puisque depuis le début du mois, court sur Facebook la rumeur de l’annulation (toujours chez Ankama) de la publication d’une vingtaine d’albums, pourtant dessinés et déjà payés à leurs auteurs.
  2. Les chiffres à ma disposition indiquent des ventes autour de 3000 exemplaires par volume pour Black Joke, entre 800 et 900 pour La Paire et le Sabre, Hitman – Part Time Killer ou SOIL (série conclue en 2012), et tout juste 300 pour Togainu no Chi ; pour référence, la série Dofus tourne autour des 9000 exemplaires par volume. Soit une nouvelle illustration de ce marché du manga comptant beaucoup d’appelés et bien peu d’élus.
  3. Héritage d’un autre âge, où l’on ne jugeait sans doute pas nécessaire d’ennuyer ces chères têtes blondes avec tous ces détails inutiles.
  4. On notera en cela combien la situation d’Ankama est représentative de cet aspect, tiraillée entre les deux extrêmes : arrêt officiel pour les manga, flou et informations rapportées par les auteurs sur Facebook côté bande dessinée.
Humeur de en mars 2013