Vues Éphémères – Mars 2020
Albert Uderzo s’en est allé. L’un des derniers « monstres sacrés » de la bande dessinée a tiré sa révérence le 24 mars, à 92 ans. Et alors que ces dernières semaines, la presse n’avait que le Coronavirus à la Une, les hommages se sont succédés[1], saluant unanimement son talent et son importance.
« Albert Uderzo, l’un des pères d’“Astérix”, est mort » (Le Monde) ; « “Uderzo est mort, vive Uderzo !” : la France pleure le père d’Astérix » (Le Figaro) ; « Albert Uderzo, le père d’Astérix et Obélix, est mort » (France TV Info) ; « La mort d’Uderzo : Astérix perd son deuxième père » (Les Echos) ; « Albert Uderzo, le papa d’Astérix, est mort » (Le Point) ; « Qui était Albert Uderzo, le père d’Astérix ? » (LCI) ; « À Bénifontaine, on pleure le décès d’Uderzo, père d’Astérix » (La Voix du Nord) ; etc.
Derrière la structure quasi immuable de ces titres (« Uderzo, le père d’Astérix »), il y a d’abord la nécessité pratique de préciser qui est cet Uderzo qui vient de mourir, et pourquoi il était remarquable[2]. On imagine bien ce que l’on aurait pu écrire à la mort de Victor Hugo (« le père de Cosette de de Jean Valjean ») ou d’Emile Zola (« le père des Rougon-Macquart »)… ou pas — puisque c’est souvent la marque d’une sous-littérature que de faire primer le personnage sur l’œuvre, quand bien même celle-ci serait feuilletonnante. D’un côté, une série (avec tout ce que cela implique de fabrication industrielle), de l’autre, une saga (renvoyant aux grands mythes de l’histoire humaine).
Plus encore, l’utilisation de cette notion de « père » (ou pire encore, de « papa », comme on peut le voir ici ou là ou ici encore) évoque cette enfance à laquelle la bande dessinée continue d’être rattachée, comme si cette association justifiait implicitement l’usage d’un tel vocabulaire[3] : autorisation de « buller », de « sortir de sa case », ou donc de « perdre son papa ».
L’un dans l’autre, ce choix de réduire Uderzo au seul rôle de « géniteur » de sa création finit par occulter une réalité indiscutable — qu’il était, avant tout, un grand auteur.
Notes
- Avec parfois des carambolages malheureux (sous le coup d’émotions conjuguées ?), comme cette couverture de Libération signée Blutch, représentant Obélix portant, à la place de son habituel menhir, le tristement fameux COVID-19… alors que (comme Goscinny avant lui) c’est une crise cardiaque qui a emporté Uderzo.
- Quelques exemples de cette structure en action, piochés cette semaine dans Le Monde : « Michel Hidalgo, l’homme qui a sorti les Bleus de leur nuit noire, est mort » ; « La mort du comte de Vogüé, « sauveur » du château de Vaux-le-Vicomte » ; « La mort de l’ancien sénateur Jacques Oudin » ; « La mort de la psychanalyste Marguerite Derrida » ; « Le Cameroun pleure Manu Dibango, sa « légende », son « icône » » ; « Mort de l’actrice Lucia Bosé » ; « La mort du philosophe marxiste Lucien Sève » ; « La mort de Pierre Truche, « magistrat-citoyen » qui avait requis au procès de Klaus Barbie » ; etc.
- Le décès d’André Chéret (dessinateur et co-créateur de la série Rahan) avait donné lieu au même type de formules : « André Chéret, le père de « Rahan », est mort » (Le Monde) ; « Bande dessinée : le père de « Rahan », André Chéret, est mort » (Le Parisien) ; « André Chéret, le père de « Rahan », est mort » (site officiel de BD2020).

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