Vues Éphémères – Novembre 2020

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Le 8 novembre 2016, l’Amérique se réveille avec la gueule de bois : sortant vainqueur d’une élection d’Hillary Clinton ne pouvait pas perdre, Donald J. Trump devient le 45e président des Etats-Unis et se prépare à occuper le devant de la scène pendant quatre ans (et plus si affinités). Pour Warren Craghead, c’est un nouveau défi qui commençait.

Jusque là, on connaissait plutôt l’auteur pour ses récits aussi minimalistes que poétiques, explorant les frontières de la bande dessinée — comme dans son How to be everywhere (présenté comme étant de la « comics poetry ») inspiré par Guillaume Apollinaire. Mais voilà, depuis la nomination de monsieur « You’re fired ! » comme candidat républicain à la présidence le 21 juillet 2016, Warren Craghead s’est astreint à publier chaque jour un portrait de Trump ou d’un de ses alliés. Si les citations qui les accompagnent sont authentiques, les portraits, eux, se veulent résolument subjectifs, chroniquant une déliquescence progressive. En quelques mois, « TrumpTrump » devient une sorte d’ectoplasme où ne subsistent qu’une bouche colérique, deux yeux vicieux et une poignée de cheveux. Le jour de l’élection, il n’est plus qu’une flaque fatiguée plantée d’un drapeau américain, qui attire les mouches. « Make America Great Again », dit la légende.

Donald Trump étant élu, Warren Craghead décide de ne pas lâcher le morceau, comme il l’indique en sous-titre du Tumblr [https://trumptrump.tumblr.com/] sur lequel il poste ses dessins quotidiens : « Donald drawn daily until this nightmare ends. » (« un portrait quotidien de Donald jusqu’à la fin de ce cauchemar. ») Jour après jour, il continue de se plonger dans la logorrhée présidentielle, documentant les péripéties d’une administration à la créativité inépuisable en matière d’abjection. Une manière de regarder l’horreur en face, de tenter de l’exorciser aussi, peut-être. A ceux qui critiquent Trump, il dit : « Vous avez raison de résister, rien de ce qui se passe est normal. » Quant aux autres : « Je voulais mettre mal à l’aise les gens qui se pinçaient le nez pour voter pour lui. On ne peut pas choisir d’ignorer le racisme qu’il exprime et qu’il facilite. »
Il ne s’agit pas ici de dessin de presse — même s’il est ancré dans l’actualité, le projet s’inscrit beaucoup plus dans une forme de séquentialité, qui finalement, constitue peut-être bien plus le portrait d’une présidence que ne le feraient des vignettes indépendantes. TrumpTrump bouge, se transforme et s’anime. La page « Archives » du tumblr qui propose un aperçu des dessins sur une longue période confirme ce sentiment[1] — sentiment que l’on retrouve également à la lecture des deux recueils publiés à ce jour chez Retrofit/Big Planet[2].

Alors que Donald Trump brigue un deuxième mandat le 3 novembre 2020, Warren Craghead poste un dessin en écho de celui de 2016 : la flaque est de retour, accompagnée d’un drapeau en flammes et d’une couronne tombée à terre. Et logiquement, « Keep America Great » en légende. On connaît la suite : après quatre jours de suspense, Joe Biden a fini par être déclaré vainqueur le 7 novembre et Warren Craghead a poussé un soupir de soulagement. Bien sûr, il ne lui a pas échappé que le Président refuse de reconnaître sa défaite, et l’on peut ainsi voir la bête blessée TrumpTrump qui se relève, un bras vengeur tendu vers le ciel, alors qu’une pyramide porteuse d’un œil unique vient reposer la couronne sur sa tête : « I won the election ! » s’écrit-elle, comme si cette déclaration pouvait suffire à renverser la réalité. Alors, pas question de se relâcher, il faut encore tenir jusqu’au 20 janvier 2021, date de la passation de pouvoir. Et ce n’est que ce jour-là que Warren Craghead pourra enfin, une bonne fois pour toutes[3], poser le crayon et tourner la page.

Notes

  1. En juillet 2019, TrumpTrump cède la place à une série de portraits de personnes décédées durant leur incarcération par ICE (U.S. Immigration and Custom Enforcement, la police des frontières), suite à l’application de la politique dure du président en matière d’immigration.
  2. Soit TrumpTrump – Nomination to Inauguration et TrumpTrump – Modern Day Presidential, couvrant à eux deux la période allant du 21 juillet 2015 au 21 juillet 2016.
  3. A moins que Donald Trump ne revienne se présenter en 2024…
Humeur de en novembre 2020