Vues Ephémères – Octobre 2009
Qu’on se le dise, 2009 est une année riche en anniversaires. Non content de célébrer les 80 ans de Tintin, les 60 ans d’Astérix, les 50 ans du Petit Nicolas, les 40 ans de Rahan et des éditions Glénat, ou encore les 30 ans du Lucien de Margerin, voici que le Centre Belge de la Bande Dessinée souffle ses vingt bougies — et pour l’occasion, s’offre une exposion de circonstance, intitulée «La BD 20 ans après : 21 œuvres racontent la BD». Le concept est simple, comme l’explique Daniel Couvreur, commissaire de la chose : «Plutôt que de se lancer dans une grande rétrospective, nous avons choisi 21 albums, parus entre 1989 et 2009, symboliques de l’évolution de la bande dessinée à un moment précis de son histoire.»
Un album par an, donc, pour la liste que voici :
1989 – V pour Vendetta d’Alan Moore et David Lloyd ;
1990 – Largo Winch de Philippe Francq et Jean Van Hamme ;
1991 – Bone de Jeff Smith ;
1992 – Titeuf de Zep ;
1993 – Sin City de Frank Miller ;
1994 – Lanfeust de Troy de Didier Tarquin et Christophe Arleston ;
1995 – Monster de Naoki Urasawa ;
1996 – Kid Paddle de Midam ;
1997 – Murena de Franck Delaby et Jean Dufaux ;
1998 – Donjon de Lewis Trondheim, Joann Sfar et divers dessinateurs ;
1999 – Gemma Bovery de Posy Simmonds ;
2000 – Persépolis de Marjane Satrapi ;
2001 – Le décalogue de Frank Giroud et divers dessinateurs ;
2002 – Le chat du rabbin de Joann Sfar ;
2003 – Le photographe d’Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre et Frédéric Lemercier ;
2004 – Death Note de Tsugumi Ohba et Takeshi Obata ;
2005 – Black Hole de Charles Burns ;
2006 – My boy d’Olivier Schrauwen ;
2007 – Kiki de Montparnasse de José-Luis Bocquet et Catel Muller ;
2008 – Le journal d’un ingénu d’Emile Bravo ;
et 2009 – Une vie chinoise de Li Kunny et P. Otié.
Si par un hasard extraordinaire, tous ces titres existent en français,[1] la sélection ne semble pas pencher en faveur d’un éditeur ou un autre, même si l’on pourrait chipoter qu’il existe de la bande dessinée asiatique ailleurs que chez Kana. Passons aussi sur les menus détails qui font qu’il s’agit là plus de séries que d’albums à proprement parler, et que certaines soient listées à la date de leur conclusion (V pour Vendetta, Sin City, Gemma Bovary, Black Hole) alors que la majorité le sont à la date de leur début. Après tout, c’était le prix à payer pour respecter le gimmick d’un livre par an, et on sait que c’est important, le gimmick.
Bon, c’est sûr, c’est contraignant aussi, et Daniel Couvreur le reconnaît : «En se limitant à un seul titre parmi les milliers édités chaque année, on a dû laisser sur la touche des chefs-d’œuvre comme Quartier lointain de Taniguchi, From Hell de Moore et Campbell ou Jimmy Corrigan de Ware.» Raison de plus de peser mûrement chaque décision, et de considérer soigneusement chaque choix. On imagine donc sans peine les dilemmes cornéliens rencontrés — en 1991, faut-il prendre Bone ou Maus ? pour 1996, Kid Paddle ou le Journal de Fabrice Neaud ? en 1997, Murena ou Ghost World ? et pour 2001, Le décalogue ou La Ligue des Gentlemen Extraordinaires ? Pas facile…
Alors monsieur Couvreur précise : «Ce ne sont pas nécessairement les meilleurs albums mais bien ceux qui ont innové dans un genre précis comme Le photographe, en 2003, qui a inventé la BD reportage.» Tout de suite, cela éclaire la sélection d’une dimension nouvelle. Et de comprendre que le Pascin de Sfar n’a pas été écarté pour cause de date non disponible (2000 étant trusté par l’incontournable Persépolis), mais simplement par manque d’innovation en regard du Kiki de Montparnasse.[2] Par exemple. Ou de réaliser que le Palestine de Joe Sacco (conclu en 1995, publié en recueil en 2001) manquait d’innovation dans le reportage, avec son style bêtement rien-qu’avec-des-dessins par rapport au Photographe. Forcément.
Les choix deviennent encore plus limpides avec les lumières de Jean-François Lauwens dans Le Soir, remplaçant pour l’occasion du spécialiste habituel des lieux (un certain Daniel Couvreur) :
«On retrouve dans cette sélection Titeuf, premier gamin de BD à grandir dans la vraie vie, Kid Paddle, premier enfant trash du journal Spirou, ou Lanfeust de Troy, première série d’héroïc-fantasy à la française. Au rayon asiatique, l’expo présente Monster, terrifiant manga qui a imposé le genre en Europe, et Death Note, dont l’esthétique a inspiré la mode gothique chez les ados.»
Logique. Après tout, le Gasoline Alley[3] de Frank King (1918) n’est sans doute pas disponible sur le marché belge. Même chose probablement pour La Quête de l’oiseau du temps (1983), Dragon Ball ou Akira (traduits à partir 1989) — ou encore pour les albums de Joy Division et autres Bauhaus.
Donc, récapitulons. Le Centre Belge de la Bande Dessinée a vingt ans. Et, pour reprendre les mots du site officiel de l’exposition :
«A l’occasion de son vingtième anniversaire, le CBBD a choisi de mettre à l’honneur la création BD née au cours de ces deux décennies. A travers vingt-et-un titres d’œuvres ou de séries remarquables — un par an — l’exposition raconte la richesse de la bande dessinée d’aujourd’hui et en donne une photographie pleine de justesse.»
Pleine de justesse. Je ne l’aurais pas mieux dit.
Aki & Emmanuel Polanco – Santi & Jo 1. Ménage à trois – Diantre !, Collection Blop
Guillaume Aventurin – Mu – Warum
Alex Baladi – Manœuvres – Atrabile, Collection lymphe
Martes Bathori – L’île du docteur More O. – Les Requins Marteaux
Joe Daly – Dungeon Quest t.1 – L’Association, Collection Espôlette
Eric Drooker – Flood ! – Editions Tanibis
Peb & Fox – La Père No – Diantre !, Collection Blop
Gof – Otto – Diantre !, Collection Blop
Kondoh Akino – Les insectes en moi – Le Lézard Noir
Peter Kuper – Arrête d’oublier de te souvenir – Editions çà et là
Thierry Lamy & Ana Rousse – Nerrivik – Les Enfants Rouges
Younn Locard – H27 – L’Employé du Moi, Hors Collection
Lolmède – Jour de marché – Alain Beaulet éditeur, Collection Les Petits Carnets
Magnus – Nécron 6 – Cornélius, Collection Paul
Lisa Mandel – HP1. L’asile d’aliéné – L’Association, Collection Espôlette
Jo Manix – Le journal de Jo Manix – Flblb
Jim Rugg & Brian Maruca – Street Angel – Le Lézard Noir
Claire Petry – Morpions blues – Diantre !, Collection Blop
Michel Rabagliati – Paul à Québec – La Pastèque
Soluto – Vies à la Ligne – Les rêveurs
Kazimir Strzepek – Etoile du chagrin t.2 – Editions çà et là
Jean-Michel Thiriet – Fugue pour six pattes – L’Association, Collection Côtelette
Amanda Vähämäki – La fête des mères – Frémok, Collection Amphigouri
Willem – Casse toi pauvre con – Les Requins Marteaux, Collection Carrément
Amoreena Winkler – Purulence – ego comme x
326 – Kû et Kaï, deux vrais héros – Editions Imho
Versions Originales
Marc Bell – Hot Potatoe – Drawn+Quarterly
Al Columbia – Pim & Francie : The Golden Bear Days – Fantagraphics
John Porcellino – Map of My Heart – Drawn+Quarterly
Johnny Ryan – Prison Pit : Book 1 – Fantagraphics
Collectifs
Le jour du musée – Warum
Essais
Thierry Smolderen – Naissances de la bande dessinée – Les Impressions Nouvelles, Hors Collection
Requiescat in Pace
– Usui Yoshito (51 ans), manga-ka auteur en particulier de la série Crayon Shin-chan.
C’est de saison — et comme les feuilles mortes (qui se ramassent à la pelle), voici que ne cessent de tomber les anonnces de prix littéraires, simples nominés ou heureux lauréats, au choix. Et dans le lot, voici que le Prix de Flore invite dans sa sélection une bande dessinée, le Buzz-moi d’Aurélia Aurita. Une première pour un prix littéraire français, qu’il faut sans doute mettre au compte de Frédéric Beigbeder (fondateur du Prix de Flore et président du son jury), par ailleurs scénariste occasionnel et passionné de bande dessinée — qui, extraordinaire coïncidence, apparaît dans les pages de cet ouvrage. Étonnant, non ?
Quant au prix, il sera décerné le 5 Novembre prochain.
Notes
- Cela faisait partie des règles régissant la constitution de cette exposition, à savoir que «l’œuvre devait être disponible ou avoir été disponible sur le marché belge».
- On appréciera l’ironie de la chose.
- Dans lequel les personnages vieillissent au rythme de la publication, avec Skeezix, poupon aux débuts du strip, aujourd’hui octogénaire.

Super contenu ! Continuez votre bon travail!