Vues Éphémères – Octobre 2021

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C’est une petite phrase lâchée comme ça, à la fin d’un article-interview signé BFM.TV, célébrant la sortie du dernier Astérix (« une 39e aventure « plus réaliste et plus poétique » avec un twist »). Scénariste des aventures du célèbre Gaulois depuis sa reprise, Jean-Yves Ferri y évoque la gestation de l’album (« C’était plutôt chercher un moyen de chahuter un peu les personnages pour retrouver du peps. J’ai cherché comment énerver un peu Astérix, comment bousculer Obélix. »), rappelle son adoubement par Uderzo (« Il était content de nous laisser faire. Il était toujours très positif par rapport à ce qu’on faisait. »), fait l’article de cette nouvelle sortie (« J’ai l’impression à chaque album de devoir chercher dans une direction, parce que l’univers d’Astérix est très riche. Vous pouvez faire un voyage, un album plus social, ou plus comique. Celui-là, il est plus poétique. Enfin, je l’espère. »), avant de conclure[1] sur cette sortie aux allures de défi : « Souvent, on entend dire que le nouvel Astérix se vendra tout seul. Essayons de le mettre en vente avec des pages blanches et on verra. »
On sent l’auteur piqué au vif de voir son travail relégué au second plan derrière la machine de guerre bien huilée qu’est devenu Astérix : régularité de métronome (une nouveauté tous les deux ans, sortant durant la dernière semaine d’octobre), offensive médiatique longuement planifiée (annonce du titre à la fin mars, premières images en juillet, couverture en octobre) et surtout communication tous azimuts sur l’importance de l’événement. Comme le rappelle cet article du Monde moins tourné vers la poésie («  »Astérix et le Griffon », le 39e album d’une BD devenue une machine à cash »)« [c]et ouvrage fait l’objet d’un premier tirage à deux millions d’exemplaires en langue française et trois millions supplémentaires dans seize autres langues et dialectes », et « [t]ous les points de vente à travers le monde mettent en place ce nouvel opus le même jour, selon une orchestration proche de celle des majors hollywoodiennes lors de la sortie d’un blockbuster. »

Il ne fait aucun doute que Jean-Yves Ferri savait à quoi s’attendre lorsqu’il a accepté avec Didier Conrad d’être les « repreneurs » (ou « faussaires officiels ») d’Astérix en 2011. Un autre article du Monde révèle d’ailleurs une position beaucoup plus ambivalente de l’auteur face à cet exercice des plus particuliers (« Entre joie et doute, le successeur de Goscinny trouve parfois cet héritage plus pesant qu’un menhir »), réalisé sous pression — chaque album fait l’objet d’un nouveau contrat, « manière de limiter les risques en cas d’échec commercial ».
Depuis Astérix chez les Pictes sorti en 2013, les priorités sont clairement affichées sur la couverture des albums, avec, en ordre d’importance (et de taille) décroissantes : le titre de l’album (dans lequel figure, une fois sur deux, le nom du héros), le nom de la série (Astérix, donc) flanqué du nom des deux créateurs originels (R. Goscinny & A. Uderzo)… et, en tout petit et dans une typographie dépourvue de toute fantaisie, cette indication laconique : « Texte Jean-Yves Ferri, Dessins Didier Conrad ». Certes, cela en a toujours été ainsi sur les albums signés Goscinny et Uderzo depuis Astérix le Gaulois en 1961 — mais on peut s’interroger sur le respect de cette « tradition », alors que d’autres éléments signalétiques des albums[2] ont eux, évolué au gré des (ré)éditions.

Il faut se rendre à l’évidence : peu importe la qualité du travail de Ferri et Conrad (réussite ou bérézina, selon les avis), Astérix et le Griffon sera, par la force même de l’événement de sa sortie, la meilleure vente de l’année tous livres confondus. Mais il est également très probable que cette année, le discours célébrant la « bonne santé de la bande dessinée » choisisse d’occulter le Gaulois pour se focaliser sur l’impressionnant raz-de-marée du manga. Un succès d’autant plus remarquable (et intéressant à questionner) qu’il n’est en rien « fabriqué ».

 

Notes

  1. Notons qu’il est très possible que ce soit le journaliste qui ait choisi de conclure son article par cette phrase. Après tout, un entretien est par nature une expérience « organique » et souvent désorganisée, qui nécessite parfois une part de réécriture a posteriori.
  2. On pense en particulier à l’identification de la série, passée de « La collection Pilote présente une aventure d’Astérix le Gaulois » à « Une aventure d’Astérix le Gaulois », avant d’adopter la disposition actuelle évoquée plus haut, avec « Astérix » (en gros) entouré de « R. Goscinny » et « A. Uderzo ».
Humeur de en octobre 2021