Vues Ephémères – Rentrée 2008
Ah, l’été … période de vacances et de beau temps, où l’information suspend son vol pour laisser place au ballet entre juillettistes et aoûtiens. Mouais — on repassera. Parce que cette rentrée à peine amorcée débute déjà sous de sinistres augures, agitée par une annonce fracassante en pleine fin de mois d’Août. Presque une déclaration de guerre.
Certes, on avait suivi avec attention les manœuvres estivales de Kôdansha, qui établissait en Juillet une antenne nord-américaine devant prendre du service dès Septembre pour, je cite, «publier et distribuer les mangas populaires du Japon».[1] Mais tout cela se passait là-bas, loin des yeux (et donc du cœur de cible).
Et puis, patatras ! Il n’y a pas deux semaines, voici que Shûeisha et Shôgakkan annoncent leurs intentions de débarquer en France, afin d’attaquer le marché local à compter de l’automne 2009, dans une offensive qui se tournerait ensuite vers l’Angleterre et l’Espagne.[2] Et aussitôt certains d’évoquer un scénario catastrophe, parce que l’on aime tous frémir un peu : et si les éditeurs Japonais reprenaient demain toutes les séries qu’ils avaient jusqu’ici laissées aux éditeurs Français ? Diantre, ce seraient pas moins de sept des dix plus grosses ventes qui passeraient alors à l’ennemi — représentant à elles seules plus de 4,7 millions d’exemplaires vendus dans l’Hexagone pour l’année 2007… soit près de 40 % du marché du manga en France.
Kana et Glénat seraient les premières victimes de cette hécatombe, mais également Delcourt (qui publie Nana, seconde meilleure vente manga de l’éditeur derrière Fruits Basket), alors qu’un Pika, avec son catalogue largement estampillé Kôdansha, bénéficierait d’un répit temporaire. C’en serait presque ironique — après avoir vu agité depuis deux ans le spectre du Péril Jaune planant au-dessus de la création franco-belge, voici que l’on s’inquiète de voir ce segment si dynamique revenir à la concurrence étrangère…
L’Apocalypse (éditoriale) serait donc pour demain. L’Editeur est désormais (presque) fixé, plus besoin de frémir à l’idée de cette Epée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête, c’est la crise, c’est l’invasion, c’est la guerre — mais c’est aussi la fin d’une attente éprouvante.[3] L’Editeur soupire, résigné mais le regard clair de cette certitude nouvelle, il remonte courageusement ses manches, et se prépare à affronter de pied ferme la Fin du Monde, une musique de blockbuster hollywoodien venant souligner le dramatique de la situation…
Non non non. Arrêtez tout. Ca ne tient pas debout, c’est trop simpliste comme histoire.
Franchement — dans un contexte où l’on joue la foire d’empoigne pour négocier les droits des nouvelles séries, où l’on accepte sans trop rechigner des royautés de plus en plus élevées, où l’on va même jusqu’à acheter des volumes qui n’ont pas encore été dessinés… pourquoi donc les éditeurs japonais viendraient-ils enlever aux franco-belges le manga de la bouche ?
Aux éditeurs franco-belges le travail fastidieux de traduction et d’adaptation, aux éditeurs franco-belges aussi la gestion complexe de la logistique et d’un réseau de distribution aussi tortueux que contrôlé, aux éditeurs franco-belges encore les risques des ventes qui ne décollent pas — et aux éditeurs japonais l’assurance des avances sur droits, en attendant tranquillement les rentrées complémentaires des royautés provenant des meilleures ventes.
Par contre, il est certain que ces derniers ne manqueront pas de surveiller comment l’on mène ici les affaires — fronçant le sourcil devant les petits ratés, grommelant face aux plans marketing manquant d’ambition, lançant un regard exigeant par-dessus l’épaule des éditeurs franco-belges tout en se défendant de vouloir intervenir en quoi que ce soit … une saine pression, pourrait-on dire, afin de s’assurer que leurs petits camarades locaux font de leur mieux.
Donc non, ce n’est pas la fin du monde. Non, les éditeurs japonais ne vont pas reprendre à leur compte, tout-de-suite-là-maintenant, la publication de tous les manga sur le marché européen. Tout au mieux, cette vision relève de l’anticipation, d’un monde où la distribution numérique permettrait une remise à plat des structures de diffusion déjà en place — ainsi que l’installation de nouveaux business models.
Alors oui, les éditeurs Japonais vont prendre pied en Europe. Mais tant qu’il faudra produire du papier et mettre des livres en librairie, tant que les éditeurs locaux accepteront de prendre des risques et de payer des droits élevés, il n’y aura pas de raison de changer le système en place. Juste l’occasion, de temps à autre, de serrer un peu plus la vis…
Etienne Beck – Monsieur Pixel – L’Employé du Moi, Collection Sous main
Charles Burns – El Borbah – Cornélius, Collection Solange
Grégoire Carlé – Baku 1 – L’Association, Collection Mimolette
Claire & Jake – Francis rate sa vie – Cornélius, Collection Delphine
Pierre Druilhe – Welcome to America – ego comme x
Fifi – Chroniques Wallonnes – 6 Pieds Sous Terre, Hors-Collection
Gébé – Les colonnes de Gébé (1993-2003) – L’Association, Hors-Collection
Grégory Jarry & Otto T. – Lucius Crassius, précédé de Le Savant qui fabriquait des voitures tranparentes – Flblb
Mattt Konture – Krokrodile comix 3 – L’Association, Collection Mimolette
Thierry Van Hasselt & Mylène Lauzon – Les images volées – Frémok, Collection Amphigouri
Aurélie William Levaux – Menses ante rosam – La Cinquième Couche, Hors-Collection
Yann Lindingre – Le Monde des gens – Les Requins Marteaux, Collection Féraille
Morvandiau & Mancuso – Santa-Riviera, le venin des passions – Les Requins Marteaux, Collection Féraille
Marti – Taxista – Cornélius, Collection Solange
Mizuki Shigeru – Kitaro le Repoussant Tome 5 – Cornélius, Collection Paul
Bruce Paley & Carol Swain – Rock’n’Roll life – çà et là éditions
Juanjo Saéz – L’Art, conversations imaginaires avec ma mère – Rackham, Hors-Collection
Sœurs Bernadette – La méthode Bernadette – Editions Matière, Collection Imagème
Tatsumi Yoshihiro – L’Enfer – Cornélius, Collection Pierre
Tori Miki – Intermezzo 4 – Editions Imho
Lilli Carre – The Lagoon – Fantagraphics Books
Alissa Torres & Sungyoon Choi – American Widow – Villard Books
Jay Lynch & Dean Haspiel – Mo & Jo Vol 1 : Fighting Together Forever – Toon Books
David Heatley – My Brain Is Hanging Upside Down – Pantheon Books
Gilbert Hernandez – Speak Of The Devil – Dark Horse
George Herriman – Krazy & Ignatz 1943-1944 – Fantagraphics Books
Al Jaffee – Tall Tales – Abrams
Nabiel Kanan – Exit : The Complete Series – Desperado Publishing
Bill Kelter & Wayne Shellabarger – Veeps – Top Shelf Productions
John Kerschbaum – Petey & Pussy – Fantagraphics Books
Jim Mahfood – Kick Drum Comix #1 – Image
Pat Mills & Kevin O’Neill – Marshal Law : Origins – Titan Publishing
Danica Novgorodoff – Slow Storm – :01 First Second
Nate Powell – Swallow Me Whole – Top Shelf Productions
Yuichi Yokoyama – Travel – Picturebox Inc
Collectifs
Beasts ! : Book 2 – Fantagraphics Books
The Best American Comics 2008 – Houghton Mifflin Company
From The Shadow Of The Northern Lights – Top Shelf Productions
Stripburger #46 – Forum Ljubljana
You Ain’t No Dancer Vol 3 – New Reliable Press
Revues
The Comics Journal #293 – Fantagraphics Books
Essais
Arie Kaplan – From Krakow To Krypton : Jews & Comic Books – Jewish Publication Society of America
Timothy Callahan – Grant Morrison : The Early Years – Sequart.com Books
Requiescat in Pace
– Akatsuka Fujio (72 ans), pionnier du manga comique, créateur entre autres de la série Tensai Baka-bon. Il avait reçu en 1964 le Shôgakkan Manga Award pour sa série Osomatsu-kun.
– Creig Flessel (96 ans), dessinateur de «l’Âge d’Or» du comic book, ayant fait ses débuts en illustrant les couvertures des Detective Comics en 1937, avant d’assurer le dessin du Sandman de l’époque. A partir des années 60, il s’était tourné vers le comic strip et des contributions à Playboy Magazine.
– Jack Kamen (88 ans), l’un des auteurs les plus prolifiques d’EC Comics durant la première moitié des années 50, avant l’instauration du Comics Code.
– Francis Lacassin (76 ans), spécialiste des littératures populaires et souvent mentionné comme l’inventeur de la formule «neuvième art». Avec Alain Resnais et Evelyne Sullerot, il fonde en 1962 du Club des bandes dessinées qui deviendra par la suite le CELEG (Centre d’études des littératures d’expression graphique), avant d’occuper à partir de 1971 la première chaire d’histoire de la BD à l’université Paris-I.
– Carlos Meglia (50 ans), dessinateur argentin, ayant notamment signé (sur un scénario de Carlos Trillo) la série Cybersix, avant de se tourner vers les marchés américain (en particulier chez Dark Horse) et franco-belge pour Soleil.
L’information vous a peut-être échappé — le 28 Août dernier est sorti une production confidentielle, Suisse d’origine, un récit intimiste fort justement nommé «Le sens de la vie». Eh oui, avec un tirage initial d’1,8 millions d’exemplaires, il ne fait pas de doute que le dernier Titeuf va se bientôt retrouver dans toutes les chaumières.
Et si le dernier album de Zep est sans nul doute le mastodonte de la rentrée, on peut d’ores et déjà esquisser le top des cadeaux de Noël à venir, à coup de tirages massifs et enthousiastes — un top de valeurs sûres et maintes fois éprouvées qu’il faudra sans doute saupoudrer de quelques Naruto pour faire bonne mesure…
|Titre|Tirage[4] |
|Titeuf t.12 : Le sens de la vie|1,8 million|
|Les nouvelles aventures de Lucky Luke t.3 : Le président|500 000 ex.|
|Largo Winch t.16 : La voie et la vertu|450 000 ex.|
|Thorgal t.31 : Le bouclier de Thor|300 000 ex.|
|Le chat t.15 : Une vie de chat|300 000 ex.|
|XIII Mystery t.1 : La mangouste|250 000 ex.|
|Lanfeust des étoiles t.8 : Le sang des comètes|250 000 ex.|
Notes
- Cf. Nikkei.net pour l’article original Japonais, datant du 1er Juillet. Traduction de votre serviteur.
- Cf. Nikkei.net pour l’article original Japonais, datant du 23 Août. A noter que rapidement, on a vu évoqué un démenti des entités européennes des deux éditeurs, démenti qui tarde encore à venir.
- La troisième Université d’Eté de la Bande Dessinée en Juillet dernier s’était ainsi organisée autour du thème «Vive la crise ?», et ce point d’interrogation portait en lui toute la gêne que l’on pouvait ressentir autour de la situation paradoxale d’un marché que chacun s’accordait de dire malade, mais qui présentait les apparences d’une santé économique. A se demander si tous les participants n’auraient pas été soulagés, d’une certaine manière, si l’on avait pu déclarer, clairement et simplement, que oui, l’heure était grave et que la crise était là.
- Source : Livres-Hedbo n°742, 22 Août 2008. Sauf tirage pour Le chat, estimation personnelle à la louche basée sur l’historique des tirages initiaux de la série.

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