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Spirou vers la modernité t.1

de

La modernité serait la mère de ces jeunes gens modernes des années octante. Roman familial oblige, ils ont fait de leurs années cinquante originelles l’étendard de leur rapport au monde. Certains se sont habillés un temps comme papa et maman l’aimaient, dans un but finalement logique d’originalité[1] ; d’autres sont allés plus loin, y voyant une quintessence formelle et stylistique, une origine première en la matière, centripète comme un noyau atomique.
Le paradoxe de ces années vues «glorieuses» est qu’elles sont l’aboutissement, peut-être l’apogée, des mouvements désignés «modernes» d’avant-guerre. Cette désignation rendant inopérante la poursuite de la traditionnelle opposition  anciens et modernes, on fut en quelque sorte obligé de qualifier la période suivante, ou du moins son esprit, de postmoderne, pour rendre à nouveau lisible un débat forcément incessant dans un monde où le progrès est la règle.

Serge Clerc, comme de nombreux représentants de la ligne claire, a longtemps joué de cette postmodernité, en oscillant entre clin d’œil et déconstruction. Spirou vers la modernité apporterait cette fois-ci deux nouveautés à cette oscillation. Sous la forme d’un voyage introspectif, la fameuse ligne s’y révélerait un faisceau dont on rechercherait la prime cohérence de son rayonnement. L’auteur n’aborderait plus la bande dessinée franco-belge par son héritage et sa présence, mais bien plutôt comme un mouvement artistique s’inscrivant dans une logique historique, avec des fonctionnements spécifiques.
Il ne s’agit donc pas de généalogie ou de position, mais bien de situation, où Spirou est une œuvre parmi d’autres. Le côtoiement fait l’explication, le jeune héros participe totalement de l’esprit d’un temps où il avait vraiment son âge de personnage, celui d’adolescent ou de très jeune homme[2].
Les images que propose Serge Clerc sont conçues pour évoquer de fausses couvertures d’albums de la série ou de recueils du magazine, ou bien des affiches, des publicités et des illustrations. L’auteur joue ainsi de ce phénomène de la gouttière lié à la bande dessinée, mais qui serait porté non par l’entre-case, mais par l’entre-album, voire l’entre-hebdomadaire. Il convoque ici toute la mémoire des lecteurs de Spirou, la recueille et la canalise[3].

En ajoutant à son livre les croquis de conception de ses images, Serge Clerc rapproche celui-ci de l’Alph’art d’Hergé. Cette proximité se ferait par un goût pour l’Art en général de la part des deux auteurs, et par le caractère inachevée des deux œuvres. Un double aspect qui serait amplifié par la rumeur d’une aventure du groom conçue avec Jean-Luc Fromental, qui se passerait dans le milieu de l’Art aux Etats-Unis.

La différence avec Hergé et que l’auteur de Phil Perfect s’inscrit lui comme artiste et qu’il vend à des collectionneurs dont les demandes sont quasiment à l’origine de ce livre.
Picasso — largement évoqué dans l’album — aurait dit que l’on devient peintre en peignant les œuvres que l’on aimerait avoir chez soi. Cette pratique, Serge Clerc l’a eue avec Yves Chaland, en faisant et s’échangeant, par exemple, de fausses couvertures de recueil Spirou à la manière de Franquin[4]. Pour eux, pas de pseudonyme nécessaire pour réserver leur nom à d’éventuelles carrières arrtistiques plus «nobles». Ils voulaient être auteurs, artistes de neuvième chose, la ligne était claire dès l’origine.

Notes

  1. Mot qui vient d’original, qui lui-même vient d’origine.
  2. Spirou a fêté en 2013 ses 75 ans.
  3. Un travail sur la mémoire qui évoque Pim & Fancie, l’album d’Al Columbia, chroniqué ici.
  4. Cf. la préface de Jean-Louis Bocquet dans l’album.
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Chroniqué par en juin 2014