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30 héros de toujours, chefs d’œuvre de la BD 1830-1930

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A chaque fois que Claude Moliterni sort un livre sur l’histoire de la bande dessinée, on peut s’attendre à une compilation de ses fiches et dossiers patiemment élaborés il y a plus de 40 ans. Et bien cette fois encore, ce livre confirme ce que l’on peut désormais appeler une règle, et il vous met en prise directe avec une histoire de la bande dessinée datant des années 60.[1]

Donc, dans l’introduction, comme il se doit tout commence avec la préhistoire, puis l’Egypte, etc… On évite aussi, toujours bien comme il faut, toute théorie de la bande dessinée et on égraine des informations que l’on trouve depuis belle lurette sur de nombreux sites consacrés à la bande dessinée et/ou dans n’importe quelle encyclopédie. Pour Claude Moliterni l’histoire de la bande dessinée n’a pas avancé depuis au moins 25 ans.

Mais, comme disent les journalistes craignant l’inobjectif, «ne boudons pas notre plaisir», car la nouveauté et l’intérêt de ce livre est qu’il est d’abord une anthologie et que, donc, il privilégie plus les extraits de bandes dessinée que les textes s’y consacrant. Les plus optimistes diront que ceci explique cela, les autres, les méchants, les pas beaux, se gausseront en disant que cela ne pouvait pas être trop difficile de privilégier les premières sur les seconds.

Une anthologie, en soi, est plutôt une très bonne idée, et certainement un des meilleurs moyens pour découvrir cette bande dessinée d’outre siècle(s), souvent aride à la lecture pour nos neurones pressés du XXIième siècle et autrement formatés.
Les éditeurs le savent bien et c’est pour cela que les rééditions des œuvres antérieures à 1930 (voire 50 pour les moins glorieusement franco-belges) sont si rares, souvent des échecs et qu’elles privilégient le fac-similé en misant tout sur une sorte de fétichisme et de nostalgie par l’objet.[2]

A ma connaissance il faut remonter aux années 60, avec la fameuse anthologie de la revue Planète, pour pouvoir trouver une démarche anthologique comparable.[3] Ce n’est donc pas rien.
Mais si cette belle idée se concrétise là, ici, en 280 pages et pour 30 euros, elle en attrape rapidement et au figuré la lourdeur du volume. Au-delà du peu de pertinence textuelle primitivement évoquée dans la hauteur de cette chronique, vous ne saurez rien des motivations du choix des œuvres qu’implique une anthologie. Vous en déduirez, certes, l’évidence historique, chronologique voire logico-narrative quand il s’agit des extraits d’œuvres eux-mêmes, mais si vous voulez en savoir plus sur leurs sources, leurs dates, le pourquoi de celle-ci justement, le comment en cette version, le qui l’a traduit, etc. tout cela vous ne le saurez pas.[4] Cela n’aurait pas pris beaucoup de place, ni trop de temps pour fournir ces renseignements, mais par contre cela aurait demandé d’être un historien, un vrai, moins focalisé sur les bédés de son enfance et la permanence de ses fiches et dossiers.

Ajoutons pour friandise quelques doutes sur la maquette et la mise en page qui semble ne cultiver comme unique esthétique que celle, logiquement bâclée et «je m’enfoutiste», du « stagiaire pas cher qu’en a marre de cette boîte» mais qui fait au minimum ce qu’on lui demande de faire. Mais l’essentiel est sûrement ailleurs, comme la vérité il fût un temps. Vous aurez donc vos belles images, superbement reproduites et ce sera déjà ça, me dira t’on.
Dans les autres livres de Moliterni vous ne trouviez que quelques cases pour extraits, voici des strips et des planches à foison. Réjouissez-vous ! C’est la preuve matérielle que l’histoire du neuvième art avance.
Pour le reste, faudra voir ailleurs et attendre que quelqu’un creuse dignement cette belle idée d’anthologie historique.

Notes

  1. Ce qui est intéressant pour l’histoire de l’histoire de la bande dessinée, notons-le.
  2. Et s’il n’y a pas de fac-similé possible car pas eu d’albums antérieurement publiés (un phénomène éditorial assez récent finalement), alors on mettra une touche de «dos toilé» ou «toilé sur la tranche» comme signifiant du travail sur la mémoire bédéphile. Voir pour exemple ce que fait (très bien par ailleurs) Glénat avec sa collection Patrimoine BD.
  3. Ce qui confirmera là encore, toujours pour les méchants-pas-beaux, l’ancrage de son auteur en ces temps jadis, mais passons. Plus sérieusement, cette anthologie de Planète, abordait la bande dessinée de ses origines aux années 60. Elle n’avait donc pas les mêmes bornes chronologiques, ni les mêmes ambitions, mais partageait déjà l’absence d’intérêt théorique. Elle actualisait une mémoire, présentait les œuvres par genres et thèmes et avait l’aspect d’un gros dictionnaire un peu comme le Comix 2000 (en moins gros quand même).
    Références exactes : Les chefs d’œuvres de la bande dessinée, Anthologie Planète, 1967 (sous la direction de Louis Pauwels).
  4. Notons que ce travers touchait aussi l’exposition Moebius-Taniguchi, à Paris, l’année dernière. Exposition encensée, pourtant composée a 90 % (voire 95 %) de fac-similés non identifiés et d’originaux qui dans la même proportion étaient ni clairement datés, ni explicitement décrits dans leurs techniques, destination, étapes, etc. Quant à la scénographie, elle n’avait que pour unique logique les rendements et contraintes in situ. A contrario, l’exposition Franquin, toujours à Paris à la même époque, était remarquablement bien conçue et honnête dans ses informations et sa pédagogie. Comme quoi il n’y a pas de fatalité…
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Chroniqué par en novembre 2005