7e étage

de

Voici une autre étape, il faut passer ce pont sur le fleuve ici dessiné comme la portion d’un cercle parfait. Il symbolise pour Asa et sa mère qui l’empruntent, le temps frontière qui s’écoule, mais aussi la voie obligée sur une gigantesque structure, métonymie de la roue qui tourne pour chacun.
C’est la vie, passage de relais et confusions sentimentales s’en suivent[1], mais un gué est franchi, l’âge des possibles s’offre enfin à une jeune femme au seuil d’un récit qu’elle écrira et dont, comme n’importe qui à sa place, elle espère qu’il s’accordera à ses rêves.

Au début, c’est le cas. Cette école d’art, les amis, les fêtes, la rencontre avec Nils, l’amour réciproque, tout semble idéal, comme dans un vrai conte de fée. Puis lentement la situation change, ce qui n’étaient que des mots pardonnables ou d’égarements, deviennent des gestes inexcusables, injustifiables. Pourtant, Asa, encore dans l’incertitude d’elle-même, se pense fautive, fait tout pour changer et essayer de rétablir le prime équilibre idéal des débuts du couple. Mais rien n’y fera vraiment, le prince charmant se révèle seulement une brute et un manipulateur hors pair ; la princesse une simple femme battue.

Ne pouvoir mettre le mot «fin» à cette histoire sera la vraie chimère à combattre pour Asa. Car l’autre monstre, ce mâle, la dévore. C’est en le voyant la mordre violemment et recracher le morceau de peau qu’il lui a arraché, qu’elle comprend qu’elle ne lui appartient pas, qu’il ne l’aime littéralement pas.
Elle était venue avec la mère, elle fuira pour rejoindre le père qui saura la libérer. Une professeure l’encouragera ensuite à suivre les démarches légales permettant de réprimer ces actes de violence. Une autre épreuve toute aussi difficile, nécessitant autant de courage, mais permettant de mieux se reconstruire et surmonter ce qui reste un traumatisme.

Ecrire et dessiner ce livre fait partie de cette reconstruction. Mémoire de fin d’étude publié en 2002 en Suède, il montre au grand jour les engrenages dans lesquels une jeune femme se laisse piéger, en même temps qu’une auteure se questionnant sur son absence de réaction alors[2].
Le dessin est d’une justesse rare. Une éloquence des profondeurs privilégiant un équilibre faisant de ce que certains appellent des faiblesses une force de vérité, loin, très loin de tous ces clichés pompiers où l’émotion s’acquiert uniquement par une surenchère graphique dite «réaliste», entièrement dévouée à une accentuation spectaculaire aux assises souvent malsaines. A l’inverse, 7e étage est à la fois la sismographie fine d’une catastrophe émotionnelle majeure et la lumière crue sur certains engrenages de la violence conjugale, entre psychologie et place de la femme dans nos sociétés.
Asa Grennvall fait un récit de l’intime, la chronique d’une violence et une analyse du chemin qui l’a amenée dans une situation que connaissent trop de femmes. Elle évoque et scrute une époque charnière de son existence avec un recul qui n’est pas seulement celui d’un regard mais aussi d’un langage triomphant de l’inexprimé, et peut-être d’une peur d’être soi-même.
7e étage brille par sa lucidité, sa sincérité et une accessibilité non démonstrative ne le réduisant pas à un simple témoignage, mais en faisant avant tout une œuvre autofictionnelle d’une grande force.

Notes

  1. Belle scène des cases 3 et 4 de la planche 3, où, par superposition visuelle, l’expression des visages affichés s’oppose à celle des sentiments.
  2. Les pages sur fond noir témoignent de ce questionnement et de ce recul par la bande, l’auteure s’adressant aussi directement aux lecteurs/lectrices.
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Chroniqué par en juillet 2013

→ Aussi chroniqué par Catherine Mao en juillet 2013 lire sa chronique