du9 in english

American Vampire Legacy : Selection Naturelle

de &

Notes de (re)lecture

La tension du bas de page impaire, comme d’habitude…

Ça se passe en bas de la dix-neuvième planche, dans la dernière case. La dernière case d’une planche impaire est bien souvent un lieu de tension paroxystique dans le récit : un suspense y est ménagé au lecteur qui va tourner la page… La tradition est ici respectée puisque l’héroïne, chasseuse de vampires professionnelle, dans un geste de colère contre son supérieur hiérarchique, envoie valser le dossier qu’il vient de lui tendre.

Elle a de quoi être en colère puisque dès son retour de mission, son patron annule ses congés pour l’envoyer exfiltrer un savant, Pavel, dont les travaux sur les vampires semblent de la plus haute importance. Mais ce qui semble énerver la demoiselle (elle s’appelle Felicia Book, au fait), c’est surtout que son patron semble éviter de lui dire le sujet des recherches en question : «Arrêtez de louvoyer, lui lance-t-elle, qu’a-t-il découvert, au juste, ce Pavel ?» et les pages du dossier volent à travers la pièce.

Nous voilà prêts à tourner la page, notre curiosité attisée par ce comportement spectaculaire.

 Suivie d’une discontinuité inhabituelle

Une nouvelle surprise nous accueille en haut de la vingtième planche : la case ne contient qu’un personnage, un nouveau personnage. La voix d’un personnage hors champ, que l’on imagine être celle de Felicia lui donne un nom : «Cash ? De quoi tu parles ? Un remède à quoi ?»

Le moins qu’on puisse dire c’est que Felicia nous ôte les mots de la bouche : de quoi parle-t-on ici ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire de remède ?

Nous sommes confrontés ici à une double et étrange discontinuité avec la dernière case de la planche précédente. La première discontinuité concerne l’apparition d’un nouveau personnage. Elle n’est pas en soi problématique dans un récit de bande dessinée : si de nouveaux personnages doivent apparaître, il faut bien qu’ils soient absents d’une case, puis présents dans la suivante, il y a forcément une discontinuité. Toutefois, cette discontinuité étant causée par la forme, il convient de donner des indications au lecteurs sur sa coïncidence ou non avec une discontinuité narrative : ce personnage était il déjà dans la pièce, hors champ ? S’agit d’une irruption soudaine ou d’une entrée en scène paisible ? quel effet fait elle sur les personnages déjà présents ?

Or, ces indications nous manquent ici, ou plutôt, celles qui nous sont données ne font qu’introduire plus de trouble car une deuxième discontinuité apparaît, dans le discours des protagonistes. Il est d’un seul coup question d’un remède, dont on n’avait pas soufflé mot jusqu’à présent, et le nouveau venu est interpellé sur ce qu’il vient de dire, alors qu’il a été silencieux jusqu’à présent.

A moins que…

Une bulle mal placée

Il m’a fallu revenir à la planche précédente pour découvrir cette bulle dans le coin inférieur droit de la dernière case, caché parmi les feuillets qui volent dans la pièce. Une voix hors champ, celle du dénommé Cash, nous le découvrirons en haut de la page suivante, répond à la question que Felicia posait à son patron : «Peut-être le remède.»

Tout s’explique : Le mystérieux Cash s’était donc annoncé de la voix dès ce bas de page et c’est lui qui avait introduit cette idée de remède. Avec cette bulle s’évanouit la confusion qui nous avait saisi en haut de la page suivante. Nous sommes face à un procédé connu et reconnu pour dramatiser l’apparition d’un personnage, en bande dessinée comme au cinéma : la voix d’un personnage hors champ fait d’abord irruption dans une discussion, provoquant un premier effet de surprise, accompagné d’un léger suspense (qui parle ?), suivi d’un deuxième effet de surprise lorsque le nouveau personnage apparaît dans le champ.

Mais ici, l’effet est manqué : mal placée, confondue avec des éléments du dessin (les papiers qui volent) la bulle n’est pas lue et le lecteur se retrouve subitement face à un nouveau personnage dont l’apparition désoriente plus qu’elle ne surprend.

Chroniqué par en avril 2013