Artbabe

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Dans la littérature ou le cinéma, on a souvent souligné l’approche sensible et différente des femmes face à une forme d’agressivité masculine. Pour ce qui est de la bande dessinée, on serait peut-être en droit d’en douter. De Claire Brétécher à Roberta Gregory, sans oublier Julie Doucet, il est bien difficile de trouver un peu de douceur dans ces mondes de harpies …
Heureusement, il y a Jessica Abel. Faisant ses premiers pas dans le Hate de Peter Bagge, puis se lançant dans la grande aventure de l’autoproduction, Jessica Abel a commencé à égrainer tranquillement son mini-comic Artbabe, dés l’été 1992. Un numéro par an, pas plus. Mais pas moins non plus.
Ensuite, les choses se précipitent : grâce à Artbabe, Jessica Abel reçoit une Xeric Grant, s’offre une couverture en couleur pour le #5, et décroche un contrat chez Fantagraphic Books. Fini le mini-comic, on entre dans la cour des grands, et la nouvelle série — Artbabe, volume 2 — sort désormais tous les six mois.

A leurs débuts, on a souvent comparé Jessica Abel à Adrian Tomine. Leurs mini-comics respectifs faisaient leurs premiers pas au même moment, et leur style de dessin était assez proche à l’époque. Depuis, Tomine a évolué vers une émotivité si contrôlée qu’elle en devient glaciale, alors que Jessica Abel a gardé un trait chaleureux et simple.
Comme Tomine dans ses 32 Stories, on sent Jessica Abel expérimenter et tenter des choses durant les premiers numéros d’Artbabe. Certaines (rares) histoires laissent le lecteur perplexe devant une narration sans direction définie. Mais on découvre déjà l’univers auquel Jessica Abel va s’attacher par la suite, et cette touche si particulière qui témoigne résolument d’une sensibilité féminine.
Cet univers, c’est celui de ces jeunes adultes, la vingtaine à peine dépassée, en plein devenir. Ici, pas de « golden boy » préoccupé par sa carrière, mais plutôt des jeunes gens à la recherche du bonheur, d’un bonheur. Histoires de séduction, d’amour ou d’amitié, ponctuées de grandes discussions où l’on parle de la vie et du reste, partageant autour d’un verre les dernières confidences.
Loin de la spirale autodestructrice des « slackers » désabusés, c’est plutôt une formidable envie de vivre que l’on découvre au fil des pages. Et alors qu’Adrian Tomine semble se tourner vers un systématisme romantique (chaque histoire se concluant sur un constat désespéré face à une vie ratée), Jessica Abel fait preuve de tendresse et d’optimisme envers ses personnages — terminant toujours ses récits sur une note positive.

A ce titre, as live and breathe, l’histoire qui constitue le premier numéro du volume 2 d’Artbabe, est emblématique du travail de Jessica Abel : dans un parallèle attachant, elle décrit les premiers pas de la rencontre entre un homme et une femme en adoptant successivement les deux points de vue. Tâtonnements, hésitations, inquiétudes … on ne peut qu’admirer la justesse et la subtilité de la narration.
Subtilité que l’on retrouve également dans Jack London (Artbabe vol. 1, #5), petite histoire au traité délicat qui réussit à recréer l’ambiance particulière et les petits plaisirs d’une journée sous un grand manteau de neige.

 

On trouvait dans les premiers numéros d’Artbabe les premiers pas d’une artiste encore peu assurée, hésitant dans les directions à donner pour ses histoires — à tel point qu’elle délaissera la bande dessinée pour le texte afin de conclure les récits The Junkie et 10mm Gut Wrench, et éviter de les faire traîner en longueur.
Avec les numéros que l’on peut encore facilement se procurer (Artbabe vol. 1 #5, vol. 2 #1 à 3), Jessica Abel fait preuve d’une pleine maturité et prend sa place parmi les auteurs à suivre et à faire découvrir.

Site officiel de Jessica Abel
Chroniqué par en octobre 1998