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Le Cheminot, suivi de Love Letter

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Cette manga est un recueil de deux histoires qui ont en commun d’évoquer les derniers instants de deux personnes.

Dans le premier récit, qui donne son titre au recueil, les auteurs nous content l’histoire d’Oto le chef d’une petite gare de village, qui un soir d’un nouvel an enneigé et à la veille de sa retraite, va voir littéralement défiler sa vie entièrement dévouée à son travail de cheminot, avant de s’éteindre de lui-même dignement, comme endormi par la froidure. Ce personnage est encensé par tous ses collègues du rails, mais cache depuis des années une plaie qui ne se referme pas : celle de la perte de sa très jeune fille, qu’une moindre rectitude professionnelle de sa part aurait peut être pu sauver.
Dans cet effacement progressif sous une neige ne cessant de tomber, impliquant le ralenti de la nostalgie, le pardon et l’irréalité par la saturation de la perception, Oto va rencontrer au sein de sa gare (qui semble être à la fois son double et sa maison) plusieurs jeunes filles de différents âges, symbolisant ceux qu’aurait pu atteindre sa propre fille si…
Le flou de la tempête de neige brouillera le lecteur lui-même : coïncidences et inquiétante étrangeté ? hallucination ? Les dialogues chaleureux qui s’instaureront avec les jeunes filles réchaufferont le vieil homme, qui s’éteindra un sourire aux lèvres et sans regrets, sa gare devant être fermée le lendemain.

Dans la seconde histoire, c’est à travers Goro, un voyou sans envergure à peine sorti de prison, que l’on voit surgir les derniers instants de Pai Lan une jeune femme chinoise.
Goro doit s’occuper de l’enterrement de cette jeune femme morte de maladie à l’hôpital, car celle-ci est officiellement son épouse. Plus exactement, il se redécouvre marié car cette cérémonie n’était qu’un mariage blanc permettant de faire venir des chinoises se prostituer au japon. L’illégalité de cet acte, l’oblige à s’occuper des dernières (et officielles) questions administratives.
Au fil de son trajet ce jeune « veuf » découvre une jeune femme qui, avant de mourir, lui écrit des lettres où elle lui murmure son enfer dans un bordel, mais lui déclame son coup de foudre pour lui, lors de leur brève et fugitive rencontre de circonstance. C’est dans cet amour qu’elle trouvera la force et le courage d’assumer son métier et de lutter contre sa maladie.
Au cours de cette autre plongée dans un passé, une histoire de vie, Goro craque et n’en fini pas de pleurer, prenant conscience d’une autre prison, voyant que ce qu’il avait toujours désiré lui échappe. Son caractère brut et sa personne font contrastes tout au long du récit. Il subit une peine d’une autre nature, qui sera plutôt une « re-mise » de peine en étant une autre délivrance. Le livre se termine par une leçon d’optimisme (« il faut bien vivre »), proclamant la mort d’un être comme la leçon d’une (et de la) vie aux vivants.

Le dessin de Nagayasu évoque, à nos yeux percevant la manga que par des traductions, le Hojo de Sous le soleil et le Taniguchi du Journal de mon père, de Quartier lointain ou de L’homme qui marche. Le dessinateur a adapté ces deux récits de deux nouvelles de l’écrivain Asada, qui faisaient parti du recueil intitulé Poppo-ya (littéralement «Chef du Tchou tchou», titre original de Le cheminot) qui reçu en 1995 le prix Naoki (prix littéraire important au japon) et fût adapté au cinéma en 1999.
Le coté mélodramatique de ces deux récits n’est pas ignoré des japonais eux-même puisque Jiro Asada est souvent qualifié de « Monsieur larme de l’ère Hesei». Reste que c’est deux histoires agréablement construites compensent largement cet aspect à travers l’utilisation d’un réseau symbolique impressionnant et discret, témoignant de réalités, du goût, et de l’identité japonaise. Nagayasu étonne aussi par l’admirable flexibilité des codes de ces «images » ce déclarant volontiers « dérisoires », qui savent, avec limpidité et tranquilité, témoigner pudiquement d’instants essentiels.

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Chroniqué par en février 2003