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Constellations #1

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Constellations a été publié chez Ankama, un éditeur qui se révèle au fur et à mesure de ses sorties bien plus surprenant qu’il n’en avait l’air de prime abord.[1] En effet Constellations est un ouvrage très prometteur, et qui à mes yeux a réussi pour la première fois à créer une bande dessinée française sous influence japonaise qui soit pas un simple décalque maladroit de ses plus mauvais tics. Le débat a fait couler beaucoup d’encre, «la déferlante mangas», l’extinction de la bonne vieille bande dessinée franco-belge et tout le tralala. Face à cela on a vu fleurir nombre de bande dessinée se contentant de singer les traits parmi les moins intéressants des productions shônen dans un grand format cartonné/couleur (de la baston, des cheveux en pointes, une abondance de traits de vitesse et des filles à gros seins — parfois brièvement dénudés — typiques des mauvaises séries internationales), qui ne faisaient que caricaturer un pays auxquels ils prétendaient rendre hommage.

Partisan de la bande dessinée d’auteur qui, quelque soit son pays, n’est jamais semblable, j’ai regardé avec curiosité ce livre que l’on m’avait conseillé de manière appuyée. La couverture,[2] épurée et forte d’un réel équilibre, donnait à l’ensemble un point de départ positif mais j’avais peur de retrouver toujours les mêmes clichés. J’ai eu le plaisir de voir que mes préjugés n’étaient que des œillères : Constellations est une bande dessinée dont les auteurs ne sont pas des décalqueurs mais bien des créateurs. Oui il y a des influence nettes, notamment celle, très marquée, du Scott Pilgrim de Bryan Lee O’Malley. Mais c’est une influence honorable dans la mesure où cet auteur est l’un des premiers à avoir laissé transparaître de manière forte ses influences japonaises, sans pour autant vouloir y coller de manière servile. Nous avons avec ces auteurs une vraie ré-appropriation de codes, graphiques comme narratifs, visant à l’élaboration d’une écriture personnelle plutôt qu’à un pompage laborieux.

De fait, il y a dans cette série un univers qui est posé, mettant en place les bases d’un récit d’anticipation à la structure classique : dans un futur plus ou moins lointain, une portion de population est cloîtrée depuis plusieurs générations dans un stade et vit perpétuellement sous la menace et le regard d’un ennemi extérieur mal identifié mais tout-puissant, instaurant de fait un régime totalitaire. Seuls quelques vieillards ont connu un autre temps, et plus personne ne pense à ce qui pourrait se trouver à l’extérieur. Ils sont même peu nombreux à pouvoir simplement concevoir cet inconnu. Au sein de cette société vivent des rêveurs, derniers révoltés de cette confrérie qui poétisent, dessinent, ou regardent les étoiles en recherchant des reliques, objets dérisoires élevés au rang d’icônes des temps passés.[3] Le pitch est assez naïf, et parfois d’ailleurs le texte est empreint d’un lyrisme un peu maladroit, mais le rythme et la sobriété du traitement rattrapent sans mal les quelques passages un peu hésitants, qui restent relativement rares.

Le dessin de Popcube est à la l’aune de la narration, influencé par la culture japonaise sans pour autant tenter de la reproduire bêtement. Parfois là aussi il y a des maladresses, dans telle case les yeux sont excessivement agrandis, ici le dessinateur a eu la main un peu trop lourde sur le tramage… mais l’ensemble montre une aisance réelle et le lecteur est assez vite pris par ce dessin qui lui aussi, dégage une impression de fluidité. Le trait tend à la simplicité,[4] permettant ainsi des contrastes forts : les scènes de ville ou de foule n’en apparaissent que plus étouffantes, et rendent d’autant mieux le confinement des personnages. Il faut bien sur aussi compter sur quelques scènes magistrales : celles où les décors deviennent les protagonistes, ceux de villes dont j’ai déjà parlés, mais aussi les murs, la décharge… Ces temps de respiration sont loin d’être superflus, et contribuent de manière très forte à l’ambiance générale.

Nous avons là un un premier tome qui, bien qu’étant un volume d’exposition, réussit à mener un récit construit et cohérent, présentant l’univers de la série au lecteur sans pour autant y sacrifier la conduite d’un récit propre. Une fois ce volume achevé, le lecteur ne ressent donc pas de frustration, souvent fréquente après des premiers volumes. Ce livre est sorti il y a plusieurs mois et n’a pas eu l’écho qu’il méritait, ce qui bien regrettable étant donné l’habileté avec laquelle il réussit à prouver que la bande dessinée futuriste n’est pas condamnée à s’enfermer dans des moules affligeants, et que l’influence japonaise peut être tout sauf une ornière.

Notes

  1. Si certains titres sont peu convaincants (notamment la série des Dofus) on est vite étonné par la qualité générale d’un catalogue contenant au premier abord un grand nombre de défauts propres aux pires éditeurs mainstream (notamment cette manie de lorgner vers le comics et le manga avec avidité). Dès qu’on se penche sur leur production apparaissent d’agréables surprises — on a par exemple beaucoup parlé de Mutafukaz qui est en effet très efficace et, loin d’être un héritier appauvri des comics et mangas, se révèle être un livre très bien construit et fait tout honneur à la bande dessinée en général.
  2. Il faut préciser par ailleurs que cette couverture contient un «gadget» amusant. Une partie de son impression est phosphorescente et se révèle dans le noir. Si cela n’a pas une grande importance c’est d’un bel effet, et plutôt cohérent quand au contenu du livre. Un petit plus plaisant donc, marque de fabrique des éditions Ankama qui, dans Mutafukaz : It came from the moon, ont accepté d’insérer 16 pages à lire avec des lunettes 3D.
  3. L’exemple le plus marquant reste cette boule de plastique dans laquelle un phoque se couvre de neige, ridicule s’il en est et ici objet de vénération.
  4. Même si le dessinateur ne manque parfois pas d’audace — on voit ainsi une case présentant un bras démesuré pour accentuer sa découverte, certes cela défie les règles de l’anatomie mais c’est franchement efficace et réussi. À d’autres endroits cela fonctionne moins bien, mais on ne peut que saluer un effort loin d’être laborieux.
Site officiel de Ankama
Chroniqué par en juin 2009