Dans moi
En guise de porte, cela commence par un fleuve d’où l’on émerge. On se croyait une île en son milieu et finalement on le contient on ne sait trop comment.
Sur la berge donc, on se lève, on marche, on va en aval car ça descend, c’est plus simple, et il y a cette idée d’arriver quelque part et de savoir, plutôt que de revenir on ne sait où et d’oublier encore.[1]
Au rythme de quelques pas, la certitude est là : Ici c’est chez moi et c’est moi. En même temps, ce contrepoint d’incertitude murmure : N’y a-t-il que moi ici ?
Ce sont les débuts. Le territoire est vaste, hors contrôles souvent.
Pas de ça, pas de surmoi, juste un moi perdu en lui. Il arpente, il découvre de son regard, y fait germer quelques rêves (des arbres, pour voir), y voit les ennuis, y voit les ennemis.
Pourquoi devenir le roi dans moi ? «Pour décider des choses impossibles».
Désormais, il doit affronter l’ogre qui ne dit mot. Aussi blanc qu’il est noir, aussi grand et gros qu’il est petit et maigre. Ils se ressemblent donc, mais l’un peut avaler l’autre.
Le combat, au bord du fleuve de sang, se fait aux ricochets. Le perdant sera mangé. L’ogre perd tout le temps, et revient chaque lendemain, car il est trop gros pour être avalé ou noyé. L’énigme se construit alors en silence, en cette matière qu’il s’agirait de vaincre par des paroles et des mots dits. Mais où les trouver ? Qui les contient ?
Il faudra être mangé pour savoir et naître au sens des mots en poussant un cri primal insupportable. Un big bang sonique, d’où le dialogue commencera. Le roi de moi sera désigné, son règne d’une vie pourra vraiment débuter. L’un des deux (pourtant dans le même) avait «un nuage dans la tête» qui, libéré, peut désormais lâcher sa pluie féconde sur un pays devenu fertile.
La beauté de ce livre est d’évoquer l’émergence de la conscience, le pouvoir des mots, et ces territoires intérieurs où certains s’enferment pour ne pas être avalés, gelant l’ontogenèse cénesthésique du sceau de l’autisme. Oui, être en soi ne va pas de soi, c’est une aventure. Dans moi conte cette trouvaille du timbre identitaire par la parole et le dialogue en soi, que nous avons tous fait dans une enfance pas forcément oubliée, plus sûrement non dite ou informulée, se cachant dans ces obscurités.
Le texte d’Alex Cousseau trouve le ton juste, une limpidité donnant évidence à ce timbre qu’il s’agit de prouver aux plus jeunes, de se rappeler pour les plus vieux. L’incroyable talent de Kitty Crowther est au diapason d’une thématique que l’auteure avait approchée dans certains de ses livres précédents. Son monde, son théâtre font ici merveille, se déployant avec cette harmonie et cette évidence d’une vie propre, que l’on pourrait dire en soi.
Super contenu ! Continuez votre bon travail!