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De véritables contes de fées II

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Le nouveau recueil de Besseron est paru. Ceux qui ont dégusté ses planches féroces et ricanantes dans Psikopat ou dans Sushi bondage seront ravis de retrouver, rassemblées, toutes ces bribes d’ironie méchante ou glauque. La galerie de portraits qui est offerte par ces nouveaux «contes de fées» est aussi vache, aussi sinistre et aussi délirante que celle de l’opus I : des ratés, des zombies, des gosses insupportables et des piliers de bistrot se croisent dans une hébétude partagée, silhouette fixe et regard vide.
Le trait de Besseron relève de la fausse bonhommie : il est extrêmement précis, mais il saisit les figures sans les détailler, en arrondissant les mains, les visages, les objets, comme pour fabriquer un monde apparemment paisible et lisible, qui contrastera d’autant mieux avec les détails scabreux ou les chutes immondes. Un signe : les yeux. Les personnages de Besseron sont figés dans leur trait lisse et sans aspérité, mais leurs yeux sont vides, sans pupilles, sans vrai regard. Ils sont tous enfermés dans une inquiétante immobilité, comme déjà morts, ou déjà résignés à l’insondable crétinerie de ce qui leur arrive.

Par exemple : David Vincent n’a pas vu atterir les extra-terrestres, il s’est emplafonné dans un stade de foot, sous les projecteurs. Envoyez l’enfant qui galope au parc nourrir les pigeons : ils vont le bouffer. Invitez un gratteux à pousser la chansonnette au bistrot : les habitués ne manqueront pas de lui enfoncer sa guitare dans le cul («il est bon de rappeler à ceux qui font de la merde que c’est de la merde. Et celui-là, il était temps de le lui rappeler»). Et, si vous avez les cheveux vraiment très gras, c’est sûrement parce que vos poux s’y masturbent toute la journée.
Tous les récits sont de cette veine : après la mise en place d’un décor sordide ou glauque, la chute est pire, toujours plus stupide ou plus sordide, et elle laisse les personnages abrutis de connerie, l’œil blanc, la lippe immobile.

On ne retrouve pourtant pas tout à fait la maestria et l’inquiétante lueur qui animait le premier volume (ou, dans la collection «carrément», l’impayable Haute couture). Ce Besseron-là est un peu plus convenu, un peu plus facile, plus «Psiko» et moins «Ferraille».
C’est peut-être dû, aussi, au fait que les dialogues sont nettement moins bons que le dessin : la langue est parfois approximative, les personnages utilisent des tournures qui ne collent pas avec leur identité ou avec le reste de leur discours, et quelques fautes arrêtent l’œil — on ne peut pas se permettre la moindre imprécision pour manier cet humour d’ambiance et de malaise, et c’est la limite de ces nouveaux «contes de fées».

Site officiel de Les Requins Marteaux
Chroniqué par en octobre 2006