Erminio le milanais
Vents d’Ouest a pris le pari ce mois-ci de sortir un album de 136 pages, en noir et blanc, avec au dessin, « un-jeune-qui-n’en-veut-mais-pas-connu ». Cette bonne surprise est une vraie réussite tant le trait d’Erwann Surcouf est séduisant. Ses hachures et surtout son choix d’alterner les pages noires et les pages blanches comme support de ses cases souligne avec force l’atmosphère mélancolique du récit. Une mélancolie noire, celle d’un homme qui est passé à côté de sa vie.
L’histoire, donc : dans la Sicile des années 60 débarque un jeune instituteur milanais qui décide de reprendre en main l’école du village. Evidemment, l’accueil qui lui est réservé est des plus glacial, notamment de la part du maire, le despote du village. Celui-ci jure que jamais son fils Luigi, handicapé, ne fréquentera les bancs d’une école tenue par un continental du nord. Mais ces tensions sont en fait accessoires. Le principal intérêt du texte est plutôt ce constant malaise qui entoure le personnage du narrateur. C’est en effet Luigi qui raconte l’histoire. Luigi le fils du maire, le handicapé. Luigi qui sera enfermé pendant 5 ans dans sa chambre par son père, revêtant par là son rôle de narrateur omniscient, coincé dans son donjon, loin de l’action. Il est l’exclu, celui qui endosse les malheurs du village et qui en devient ainsi le conteur.
Luigi raconte cette histoire à un certain Salvatore, le fils caché d’Erminio, celui qu’il a eu avec la femme du forgeron. Un secret scellé dans un pacte entre les deux hommes : le forgeron stérile y gagne un fils inespéré et Erminio évite la vengeance du mari trompé mais doit jurer de ne pas voir son fils en dehors de l’école.
Ce drame est le récit principal, raconté en flash back et entrecoupé par les épisodes actuels de la vie d’Erminio. Un Erminio terrifié à l’idée de perdre la mémoire. C’est cet oubli progressif qui pousse Luigi à remonter le cours de cette histoire pour que Salvatore revienne voir son père avant que celui-ci ne l’oublie définitivement.
Deux époques alternent donc : les chapitres de la vie d’Erminio au village, sur un fond blanc, directement racontée par Luigi et le voyage d’Erminio en 2001 un voyage de quelques heures dans un taxi ambulance qui le conduit à l’hôpital. Ce voyage n’est pas raconté par Luigi même si, de façon subtile, il observe le passage du taxi avec une paire de jumelles. Ces passages se détachent donc sur un fond noir qui enserre les cases et renforce la sensation d’étouffement ressentie par le vieil homme.
On assiste aussi à l’élaboration d’un théâtre de marionnettes, qui permet comme souvent une mise en abyme de l’histoire. La première case de la page décrivant la construction du théâtre est ainsi un gros plan sur un élément du décor qui devient case de la BD avant de s’en détacher progressivement en zoom arrière. Autre finesse : les quelques cases tout en longueur, qui prennent la largeur de la page et seulement quelques centimètres de haut pour décrire trajets et paysages.
Cet album n’est ni une énième déclinaison du thème du parrain ni un 48 pages historique, comme le choix de la Sicile aurait pu le faire craindre. Au contraire, on a affaire à une vraie plongée dans les sentiments humains les plus contrastés dans cet album à la grande subtilité narrative, bien appuyée par un dessin toujours juste.
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