Ganges

de

Notes de (re)lecture

Rapport à l’autobiographie

Kevin Huizenga s’en défend : Glenn Ganges n’est pas un personnage autobiographique, c’est un personnage imaginaire. Je n’ai aucune raison de ne pas le croire. Et pourtant, il faut bien constater que les histoires éditées ici présentent des similitudes de forme avec de nombreuses bandes dessinées autobiographiques. De nombreuses séquences sont fondées sur un monologue de Glenn Ganges, seul personnage visible ; le récit met souvent en scène des fragments de sa vie quotidienne ; nous sommes ainsi conduits à connaître la profondeur psychologique de ce personnage qui nous prend à témoin de sa vision du monde, de sa relation aux autres, de ses interrogations…
Mais Glenn Ganges n’est pas Kevin Huizenga.

Douceur

La lecture des récits rassemblés dans ce livre me procure une sensation de grande douceur, suffisamment rare en bande dessinée pour que je m’attarde sur ce sujet.
Il y a d’abord une grande douceur dans le dessin soutenue par des procédés graphiques assez simples. La présence fréquente d’un horizon cadré bas dans la case laisse beaucoup d’espace à des cieux dégagés ou étoilés apportant ainsi une sensation de calme. Les décors périurbains ou les intérieurs privilégient aussi les horizontales. Ils sont construits en segments fins, un peu à la manière de Seth, mais à la différence du style de Seth, les modelés et les ombres rassurent quant à la réalité de ce que l’on voit : ces maisons, ces rues, ces jardins semblent la représentation d’une réalité et non l’émanation d’un imaginaire. Rien n’est agressif dans ce dessin : les personnages sont tracés d’un trait plus épais et de lignes plus arrondies, sans angles, ce qui leur confère une présence rassurante. Avec sa rondeur et ses proportions médiomorphe, le personnage de Glenn Ganges peut faire penser à un tintin calme et philosophe.
Il y a enfin la douceur des relations décrites et la beauté d’âme de ce Glenn Ganges : il peut s’indigner mais il ne peut pas être méchant ; il lit des livres sur la science et l’histoire de la science ; il pardonne, il sourit, il s’émeut. A défaut d’être un belle personne (puisque ce n’est pas autobiographique, c’est un beau personnage qui parvient à ne pas être d’une fadeur sucrée.

Une belle équation

Un tel personnage, avec sa beauté d’âme, sa simplicité et ses bons sentiments serait il crédible s’il était présenté comme autobiographique ? le lecteur n’adhérerait pas à un tel contrat de lecture, estimant que l’auteur le dupe en se présentant sous un jour systématiquement favorable. Mais à l’inverse, comment s’intéresser aux états d’âmes et au quotidien d’un personnage imaginaire sans avoir la conviction ou au moins l’intuition qu’il est une image de la réalité, une création issue d’une expérience humaine.
La dernière histoire du recueil (Glenn au lit) illustre bien cet équilibre : Glenn est couché dans le noir auprès de sa compagne qui dort. Il la regarde dormir et il s’émeut de l’amour qu’il lui porte, évoque l’universalité de ce sentiment et de cette situation (regarder l’être aimé dormir)… Bref, tout cela pourrait être bien mièvre. Et pourtant, ça passe ; et ça passe en douceur.
Parce que Glenn Ganges n’est pas Kevin Huizenga et que le lecteur se doute qu’il s’agit d’une création, d’un personnage de bande dessinée (cette ressemblance avec Tintin…) : on accepte donc qu’il exprime des émotions simplifiées, à la limite de la naïveté.
Mais aussi parce que l’on sent que Glenn Ganges n’est pas un personnage de bande dessinée ordinaire : la banalité de son statut (ce n’est pas un aventurier et il ne lui arrive rien de remarquable) confère à sa personnalité, à sa vision du monde et aux émotions qu’il exprime, un goût de réalité : Si l’auteur choisit un héros aussi banal et lui fait ressentir de telles sensations, elles doivent nécessairement être puisées dans son expérience.

Kevin Huizenga nous propose là une forme de contrat de lecture original : Il crée pour nous un personnage qui n’est pas son avatar, que l’on accepte parce qu’il est une création et que l’on écoute parce qu’on le reconnaît tout de même comme une partie de la réalité.

Site officiel de Kevin Huizenga
Chroniqué par en février 2013