Le Garçon

de

Comme sur certains costumes de prisonniers, les horizontales marqueraient ici votre absence de liberté, ou pour le moins la réalité et ses contingences. Dans ce monde rectiligne et uniforme d’un présent perpétuel — ou semblant tel — Thibault, petit garçon, du futur par conséquent, a une âme verticale tournée vers l’essentiel. Et donc, s’il faut bien manger, la réalité se rappelle à vous plus durement quand le plat est un poison qui ne l’est pas moins et que l’on n’aime pas trop ça. Mais tout à sa jeunesse, à cette force, à ce pouvoir ascensionnel, il quitte son corps qui doit manger ça, pour aller où lui-même préfère être. Oui, à l’indicatif et pas au conditionnel, car Thibault se dédouble et il n’a pas besoin de se boucher le nez pour échapper à ce qu’il n’aime pas faire ou avaler. Il n’a pas à prendre sur lui, mais, bien au contraire, juste à s’en déprendre.

Et puis, à trop se dédoubler, l’enfant finit aussi par comprendre que ses absences riment avec solitude et que ses échappées (si belles soient-elles) perdent leur sel en s’accumulant, comme si le proverbe devenait : «loin du corps, loin des regards». Heureusement, une âme sœur en déprise existe, rare, toute à l’essentiel et dans l’imperceptible elle aussi. Rencontre, jeux, et loin du corps ne se révèlera pas loin du cœur, le rapprochement de verticalités enchantera, donnera soudainement un horizon, une liberté, dans la réalité qui en semblait absente.

Noémi Schipfer poursuit ce travail fascinant sur les rencontres entre lignes horizontales et verticales. EIle y ajoute cette fois-ci la couleur et la régularité impersonnelle de traits que l’on aurait au siècle dernier, qualifiés de «tracés au tire-ligne». Si Filer droit évoquait le rapport au monde, Le garçon s’attache à sa perception et son interprétation. Ce n’est plus le corps mais l’âme qui se confronte à l’horizontalité, et devient une silhouette transparente[1] aux qualités réfractaires, réfringentes, tordant les rayons[2] à 90 degrés. Tout serait une affaire d’optique qui brouille les angles, de silhouettes loupes sur une trame dont elles révéleraient le chaînage invisible. La couleur serait alors bien sur une surface tramée[3] mais le dessin poserait question sous la forme d’une rencontre infra-mince entre traits verticaux et horizontaux. «Dessiner» deviendrait «deviner», le trait se nommerait «absence», fait de l’encre d’une force innommée.
L’auteure a précisé quelque part que ses dessins lui avaient suggéré l’histoire : «chaînage invisible» «deviner», «absence» et dess(e)in posant «question»… oui, par la ligne plurielle et angulée c’est autrement clair, autrement de vie pour en déceler l’avenir, qu’on soit garçon ou qu’on soit fille.

Notes

  1. Exprimée ici par l’utilisation astucieuse des couleurs.
  2. Ici ces traits parallèles support du monde et le décrivant dans leur variations colorées.
  3. Comme en peinture, sur une toile.
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Chroniqué par en octobre 2011