du9 in english

Haut les mains, peau de lapin !

de

C’est à un basculement de point de vue que nous invite la couverture de ce tome 2. Alors que sur celle du tome 1 nous voyions Vincent, narrateur et personnage principal, s’approcher de la maison de Rosalie Blum et qu’à l’arrière-plan une silhouette féminine s’éloignait. Nous voyons maintenant dans la même situation ce même personnage féminin en premier plan et Vincent en arrière-plan.
Second tome d’une trilogie annoncée, Haut les mains, peau de lapin ! n’est pas la suite de Une impression de déjà-vu. Bascule du point de vue, changement de narrateur et reprise à zéro, il s’agit de la même histoire vécue cette fois-ci par Aude menant l’enquête pour sa tante Rosalie. Le lecteur pressé devra patienter, le final de ce tome est exactement le même que celui du précédent. Le suspense réitéré ne retombera qu’au tome 3.

C’est qu’à la résolution élémentaire de l’intrigue, Camille Jourdy préfère ses personnages. Chacun est pour elle une histoire qu’il est bon de raconter, et chaque histoire est un jeu, une invention incessante de formes, d’images, de péripéties et de caractères.
Vincent tout d’abord, coiffeur célibataire et trentenaire, qui s’évade en construisant des maquettes de bateaux. Sa mère, veuve et excentrique, qui rejoue sa vie dans son théâtre de poupées. Son cousin qui a trois maîtresses et fabrique de petites figurines érotiques.
En écho à cette courte liste tristement représentative de la vie sociale de Vincent, ce second tome en propose une nouvelle représentative cette fois de Aude : Aude donc, la vingtaine, qui a abandonné ses études et se complaît doucement dans l’oisiveté. Ses deux copines, Cécile pour qui tout est un jeu et Bernadette qui aime s’entourer de mystère. Son colocataire qui s’imagine à la fois une vie de grand bandit et celle de directeur de cirque. Ses parents, sa sœur et ses triplés, et surtout sa tante Rosalie Blum, épicière à la vie morose mais objet de tous les questionnements.

Ces deux listes ne sont qu’un exemple d’un ensemble de procédés qui se répètent entre les deux tomes. Comme cette narration qui, dans les deux livres, nous amène à suivre le narrateur dans son quotidien le plus banal, à rencontrer son entourage et à assister finalement à un moment exceptionnel qui le sort un instant de sa monotone existence. Et recherchant dans un récit les traces de l’autre (en retrouvant par exemple la présence d’Aude dans le tome 1 alors que le personnage n’a pas été encore identifié), le lecteur peut constater la maîtrise scénaristique de Camille Jourdy.
Mais penser que Haut les mains, peau de lapin ! est un exercice de style, une démonstration d’habilité serait une erreur. Au delà des instants communs de l’histoire, se créent des rimes et des résonances entre les deux récits, la vie de Vincent répond à celle d’Aude et réciproquement. Camille Jourdy nous pousse alors à voir au-delà d’un quotidien trivial sublimé par l’humour. Insistant sur ce qui fait écho chez ses personnages, elle fait doucement sourdre la solitude des êtres et leur désarroi.

Galerie de personnages variés, histoires dans l’histoire, dispositif libre et changeant : en plus d’un point Rosalie Blum rappelle Une araignée, des tagliatelles et au lit. Mais ici la fantaisie s’est estompée et la caractérisation humoristique des personnages ne masque pas leur mal-être, leur difficulté à appréhender la réalité. Ceux-ci (à l’exception notable de Rosalie Blum) sont restés des enfants. Ils sont décalés, n’ont pas encore basculé dans le monde des adultes, celui des responsabilités, du sérieux, du concret. Ils rêvent encore leur propre existence et celle des autres.
Raconter et se raconter une histoire est pour eux une manière de refaire à leur convenance cette réalité qu’ils ne savent pas vivre. Histoire qu’à son tout l’auteur nous conte. Plus que la chronique sociale c’est le besoin de raconter qui semble mener Camille Jourdy.
Et peut-être qu’avec ce récit plus doux qu’amèr, plus léger que grave, plus fantaisiste que sérieux, le lecteur se demandera pourquoi lui il lit.

Site officiel de Actes Sud BD
Chroniqué par en octobre 2008