Kamandi (t.1)

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La sci-fi ressemble de plus en plus à une religion qui n’oserait s’avouer comme telle. Suivant ses prophètes, elle promet le paradis par la technologie et/ou les manipulations génétiques ; ou bien l’enfer dans des catastrophes apocalyptiques plus ou moins naturelles, pouvant aller de la chute d’un astéroïde à la guerre nucléaire. L’humanité, dans ce dernier cas, a alors compromis son avenir, elle paye d’avoir minoré les avertissements des scientifiques, en s’étant adonnée à l’oisiveté ou à des pulsions bellicistes décuplées par l’hubris du pouvoir technique.
Avec le temps, on peut rire de certaines de ces visions d’avenirs et de leurs prophètes et faire une histoire de la science-fiction avec uniquement des visionnaires. Mais ce serait entretenir une confusion entre sci-fi et science-fiction, et oublier que cette dernière a toujours moins parlé d’avenir que du présent, d’un présent qu’elle ne cherche surtout pas à fuir mais à interroger au futur.

Kamandi, désormais futur antérieur, incarne véritablement le présent d’alors. Cette série est née au début des années 70, de  l’impossibilité pour DC d’adapter en bande dessinée le succès cinématographique de La planète des singes[1]. A défaut, l’éditeur demanda à Jack Kirby de réaliser un comics dans cette même veine post-apocalyptique où l’on retrouverait cette fameuse hiérarchie homme-animal inversée.
Kamandi commenca donc là où se terminait le film de Franklin J. Schaffner, devant les ruines de la statue de la liberté.[2].

Pour Jack Kirby, ce nouveau théâtre bouleversé par le «Grand Désastre» est une tabula rasa. De son statu de liberté pourrait-on dire, il a encore un peu le choix d’être lui-même chez DC,[3] et travaille avec l’instinct d’un feuilletoniste aguerri par alors presque 40 ans de carrière. Certes, le temps a passé, les ventes ne sont pas au rendez-vous et cela force l’auteur à s’interroger au détour d’épisodes sur ce monde des comics dont il serait le roi, mais aussi sur ce qui a fondé son imaginaire. Un singe géant, des pirates à la Stevenson, ou un Chicago de la prohibition, tout ces clins d’œil dessinent une carte qui n’est pas celle célèbre du monde où évolue Kamandi, mais celle mentale ou heuristique qui détermine l’homme Jacob Kurtzberg signant sous le pseudonyme de Jack Kirby. Serait-il le dernier sur ces terres, pouvait être sa question d’alors[4].

Si l’anthropomorphisation des animaux n’est pas une nouveauté pour l’auteur[5], il en comprend dorénavant l’aspect littéralement fabuleux (appartenant à la fable) et en  fait ressortir, par sa puissance graphique, les déterminations instinctives et à charge. L’allusion à l’affaire du Watergate ou aux luttes pour les droits civils, par exemple, font qu’il se rapproche d’une longue tradition de la satire animalière. En quelque sorte, Kirby deviendrait ici proche d’un Calvo, mais avec une tradition graphique qui n’est plus disneyenne, mais celle des comics de super-héros de l’école Marvel.

Lire Kamandi aujourd’hui, n’est pas seulement découvrir un présent passé au futur antérieur. Le livre interroge toujours, dans une forme de science humaine fiction moins marquée par l’idée du futur qu’une forme d’atemporalité. Singes, chiens, tigres et même serpents sont devenus plus qu’humains par la «cortexine», substance qui accélérerait l’évolution[6].  Il n’y aurait donc pas que le singe qui pourrait rattraper son cousin l’homme sur ce sommet d’où il tombe parfois. A l’heure où notre époque s’interroge de plus en plus sur la place et le statut des animaux, la série de Kirby résonne ainsi d’une autre manière. La relativité interrogative d’une prospective aurait fait place à celle littéraire, artistique trouvant une place majeure dans l’histoire de la neuvième chose.

Notes

  1. C’est Marvel qui remporta les droits.
  2. Elle est ici à demi-immergée plutôt qu’a demi-enterrée pour que la filiation perde un peu de son évidence, en cas d’éventuels procès par exemple.
  3. Pp.198-199 il expérimente le collage, comme son personnage l’auteur explore.
  4. Notons que l’un des premiers comics réalisé par Jack Kirby avec Joe Simon s’appelait Boys Commandos. Kamandi est le dernier garçon de la terres («The Last Boy on Earth») et pour certains son nom serait la déformation de «Command D», nom du bunker où il a été élevé par son grand père. «Command D» ou «Comandos B» ? Corruption/déformation d’un ou du  langage ? Questions qui pourraient être posées, renforceraient les allures bilancielles de cette série, en un peu plus épique et dans un autre contexte économique naturellement, comme le désert B. moebiusien.
  5. En 1957 il avait déjà signé sur ce principe une histoire intitulée The Last Enemy ! que l’on peut lire ici.
  6. Notons que contrairement à Gulliver, Kamandi ne rencontre pas de chevaux dominant les humains.
Chroniqué par en janvier 2014