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Le Surfer d’Argent (1-5)

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Miroir d’univers, témoin à l’humanité idéale, il glisse sur l’onde lumière comme le regard. Quand le surfer est là c’est surtout pour voir les autres, et ne jamais être vu agissant héroïquement par les autres.
Il n’est pas un héros, mais un héraut. Galactus n’a cessé de lui rappeler sa fonction. Il ne fend pas les flots, ne remonte pas les courants, il est simplement ballotté par les houles sidérales et les marées cosmologiques.
Il ne pouvait donc qu’avoir un surf pour se mouvoir. Ce laisser porter, ne pas être acteur, se vêtir d’un imper et d’un chapeau pour passer inaperçu, être un voyeur, une sonde pour Galactus et un œil caméra pour le média bande dessinée.
Humanoïde miroir, il réfléchit tous les univers, qu’ils soient intérieurs et extérieurs bien sûr, mais aussi ceux mythologiques, ces pays des merveilles et de l’étonnement à l’origine même du nom de l’éditeur propriétaire des copyrights.

Témoin lié à la terre par punition, il en apparaît par conséquent et d’autant plus, une conscience morale multiverse de tolérance et de non-violence [1] . Il la reflète plutôt qu’il ne l’incarne par une incapacité essentielle, accédant par celle-ci au statut d’actant, comme le vide des taoïstes, la matière noire des astrophysiciens ou la gouttière inter-case de Scott McCloud.
Le surfer est rejeté par l’humanité car celle-ci s’y reflète en voyant ce qu’elle ne sera jamais et pire ce qu’elle a toujours été. En moins réfléchissant, où peut être en un peu plus doré comme certaines idoles bovines, le surfer aurait pu devenir leur messie. Mais il a le handicap trop rationnel — en quelque sorte — de descendre du ciel comme il veut et de ne pouvoir se sacrifier physiquement. Car le surfer d’argent est indestructible malgré ce que l’on veut nous faire croire pour des raisons narratives trop humaines. C’est toujours son/sa moral(e) qui est mis à mal. Quand son corps semble touché, il suffit d’un peu de volonté et cela disparaît, sans plus autres explications possibles que psychosomatiques. Tout se passe dans la tête. C’est pour ça qu’il est idéal en bande dessinée et aussi proche de bien des lecteurs/lectrices.

Il y a donc bien plus qu’une simple dimension christique dans le surfer. Il ne porte pas son surf sous le bras comme d’autres leur croix sur l’épaule. Son éventuelle croix est en lui, en « X », marquant le croisement/carrefour entre la rencontre et la séparation. Elle a pour signifiant son amour sacrifié pour sauver l’écrin planétaire de celle qui en ait l’origine : la belle Shallabal de la planète Zenn-La.

Pour nous tous, pauvres pulsionnels, c’est là le point nodal, les pages que nous pouvons tourner, pour nous faire comprendre le potentiel universaliste du personnage à travers la singularité du lien homme/femme. Le surfer est amour, on nous en montre pour preuve son amour contrarié. La parabole s’incline devant la tragédie : la retrouvera-t-il ? La perdra-t-il ? L’oubliera-t-il ? Pense-t-il qu’à elle ? Alors, théâtralement, se détournant en portant son avant-bras au front, déclamant et maudissant le sort qui l’accable, il se pâme de douleur avec les mêmes signes faciaux que les masques antiques consacrés aux dieux des tragédies.

On peut en rire évidemment, mais on peut comprendre aussi. C’était il y a 35 ans pour des nouveaux athéniens férus de nouveaux mythes, dans ces années qualifiées d’insouciantes et de dorées. Nous le voyons bien, en supplément, en fine couche sémiologique d’un temps passé. Le surfer, plus mythique que d’autres, incarne ce moment charnière du passage de l’épopée héroïque à celle de la tragédie aux franches quelque peut ironiques du retour sur le soi humain face aux mythes divins. Les plus puissants des héros rejoignent les plus faibles des humains dans le même désir essentiel. On peut dorénavant récrire le drame du surfer à l’infini, on l’interprète et on en donne sa version du moment. Dans tous les cas, il a maintenant et en toute relativité, l’intemporalité des classiques.

Dans cette intégrale impeccable [2] se côtoient la rectitude graphique consciencieuse de Buscema et celle brute, cosmogonique, de Kirby, pour une traduction idéale, dans toutes les dimensions et potentialités d’un personnage quintessenciel. Un très grand moment de bande dessinée, accessible à toute personne humaine par un passeport en cinq volumes, pour un voyage magnifique dans tous les confins qui font quotidiennement super sens.

Notes

  1. Le surfer n’est surtout pas un rigoriste, sa morale serait plutôt de nature aporétique. On notera que comme incarnation moderne et idéale du « bien », il était parfaitement logique qu’il affronte Méphisto cette image ancestrale du mal.
  2. Dans une nouvelle traduction, avec une restauration graphique soigneuse et la reproduction des couvertures originales. Voici le détail des volumes : Tome1, Lee & Buscema : The Silver Surfer n°1 (septembre 1968) à 4 (mars 1969) ; Tome 2, Lee & Buscema : The Silver Surfer n°5 (avril 1969) à 8 (septembre 1969)  ; Tome3, Lee & Buscema : The Silver Surfer n°9 (octobre 1969) à 14 (mars 1970) ; Tome 4, Lee, Buscema & Kirby : The Silver Surfer n°15 (avril 1970) à 18 (septembre 1970) + The Silver Surfer graphic novel de 1988 ; Tome 5, Lee & Kirby : The Silver Surfer graphic novel de 1978 + Fantastic Four Annual n°5 (novembre 1967).
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Chroniqué par en avril 2003