Leçon de choses

de

La, le, les choses vous ont fait/font/feront forcément la leçon à un moment. C’est comme ça, c’est humain. A force d’avoir en soi cet intérieur insatiable on finit certes, parfois, par vouloir essayer de relativiser l’extérieur, à le dire quelque, pas grand ou autre (chose), mais rien n’y fait/fera, cela communique toujours un peu quoique l’on fasse et on en apprend tous les jours.

En fait, les leçons sont dures à apprendre quand l’intérieur se répand ou se confond avec l’extérieur (phase autrement appelé enfance). Ultérieurement, l’intérieur est aménagé, agrandi (a grandi), on abat quelques cloisons, aménage une chambre d’ami(e) (petit(e) ou grand(e)), on met du parquet parce que c’est plus joli et si pratique, du double vitrage pour ne pas être dérangé et avoir chaud l’hiver (qui arrive si vite) et surtout la porte peut se fermer à triple tour, pour les assurances bien sûr, mais avant tout pour éviter toutes ouvertures inopinées et autres extrusions/confusions incontinentes.[1]

Le jeune Jean-Pierre apprend donc à s’assurer des choses qui rattrapent l’immatérialité interne, apprend à ne pas se chosifier et voir chez les autres, autre chose que l’extérieur. Ce qui tombe bien finalement, car il a quitté son intérieur en ville (enfin, celui de son père) pour la campagne, ouverte, dans une grande maison d’une petite ville où tout le monde se connaît, contrairement à l’anonymat contraint des cités.

Jean-Pierre a des lunettes. Il aime bien apprendre et arranger son intérieur, mais oublie parfois de fermer derrière lui quand il sort. Quand c’est avec son copain Cyril, ce n’est pas grave. Ils sont deux et trop occupés à faire les 400 coups, les enfants de cœur, travailler à la ferme d’à côté, tuer un chaton, fumer, bref pratiquer un autodidactisme pluriel en matière de sciences physiques et naturelles que complète accessoirement l’institution scolaire à classe unique.
Seul par contre, un intérieur mal fermé peut facilement empiéter (par habitude) vers l’extérieur. C’est ce qui arrive souvent à Jean-Pierre. Un pied dans une flaque miroitante et l’onde provoquée devient un tsunami. Un ver de terre aperçu et il court pour fuir cet affreux serpent géant. Certes, il en joue (beaucoup) mais quand le problème est là, sans visage, non dit, rentrant à peine pour repartir aussitôt, il se confond avec une figure mythique super héroïque et les mœurs des prétendants léonins dans un documentaire.

Il y a, bien entendu, sa mère aimante et rassurante avec qui il vit à l’intérieur de cette grande maison (celle de son père). Mais quand elle lui offre le fameux costume super héroïque d’Atomic Man,[2] il comprend alors, à l’extérieur, qu’il n’est pas à la hauteur, seulement un pas grand-chose de fils à sa maman si belle et séduisante aux yeux de tous ceux ne partageant pas ce foyer à pièce manquante, irremplaçable quoique chacun fasse.

En même temps que les mois, les choses (de la vie) se défont elles aussi et la séparation arrive, avec pour conséquence deux intérieurs à vivre et un extérieur borné par un père et une mère se distanciant. Cela ne c’est pas fait sans crise, dans une belle confusion même, un grand mélange de leçons mal comprises et d’une chose pressentie mais niée, illusoirement.
Jean-Pierre repart donc en ville(s), grandi par la forces de choses qui, intériorisées, ne font (presque) plus mal car il y a désormais de la place pour elles dans cet intérieur perçu en expansion et à remplir (d’autres choses) comme ce nouvel appartement aux pièces vides de la dernière planche.
Pour lui, la plus grande leçon, finalement, aura été de comprendre l’intériorité toute aussi projetée des adultes et toute aussi constituée de choses apprises, où la place de l’imaginaire est bien soumise à celle des souvenirs (et à leur fabrique) dans l’explication du monde, mais qui se retrouvent chacun à égalité dans leur statut d’objets mémoriels.

Une belle ambiguïté, qui motive peut-être le livre lui-même, tant l’histoire semble autobiographique. C’est bien affirmé comme une fiction, mais comme certains héros de papier, l’auteur de chair et d’os semble (peut-être) se cacher par un nom (prénom) passe-partout et des lunettes,[3] cherchant une discrétion de ce soi quelque peu héroïsé par l’autobiographique (présent dans son très beau Vagues à l’âme, même s’il s’agissait de l’histoire de son grand-père) et une fiction affirmant une présence vivante (hélas absente dans la plupart de ses albums immédiatement précédents[4] ).
Une leçon peut-être apprise, mais bien plus certainement comprise tant le livre est convainquant. Dommage que ce beau travail soit servi par une maquette affligeante, un façonnage médiocre et un nom de collection pathétique…

Notes

  1. Une porte fermée mais pas hermétique pour autant…
  2. De la famille nucléaire…
  3. Dans le livre Atomic Man est clairement Superman, même aux yeux des plus ignares en cette matière. L’auteur travestit (ou « transvestit ») le kryptonien jusqu’à retoucher les photos du fameux film de la fin des années 70 (période de notre histoire). Mardon transforme donc cet imaginaire réel en imaginaire d’imaginaire, mais avec suffisamment de visibilité pour ne surtout pas nier cette ambivalence et renvoyer de manière subtile à ce balancement incessant entre ces deux pôles qui délimitent tout le livre.
  4. Lecture qui a peut-être aussi été biaisée par la force de Vagues à l’âme… Du danger des premiers albums trop aboutis, trop appréciés…
Site officiel de Dupuis (Expresso)
Chroniqué par en octobre 2006