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Lettres au maire de V.

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En 1994, quand on lisait la mort du peintre de Baudoin, Vitrolles, qui avait commandé ce livre, n’était qu’une ville de plus bouffée par l’urbanisme à bagnoles et à industries fumantes. Vitrolles (en Provence) n’était qu’un décor de plus à la crise (ou bonheur de la société de consommation) et par-là elle était une ville qui n’existait pas, un pays où l’on n’arrive jamais. Baudoin racontait cette quête, circulant sur les traces d’un archétype cézanien.
Aujourd’hui, 5 ans plus tard, quand on lit ce même livre, il a pris un autre sens. On sait maintenant que Vitrolles existait, mais elle n’ouvrait pas ses portes. On ne la voyait donc pas, toute cachée qu’elle était par la peur. Cette peur, elle l’a traduit en vote, et aujourd’hui elle est la ville du maire de Vitrolles aux aventures électorales que l’on sait. Elle est la ville médiatisée que les Mégret (grégaires) gèrent.
Une stratification (couches géologiques) supplémentaire de signifiés en quelque sorte, et un processus que l’on retrouve aussi en action dans le dernier album d’Alex Barbier, mais cette fois dans le sens inverse …

En lisant Lettres au maire de V., il ne faisait aucun doute pour moi, que V. était V. comme Vitrolles. Les lettres de délation m’évoquaient un V comme Vichy (ambiance fascisme) et le L.G. (Loup-garou signataire(s) des lettres) m’évoquait toute la métamorphose (dûe à la peur de la nuit), en loup pour l’homme, en prédateur (prés de la peur).
Pour moi cet album de Barbier était une lettre ouverte (de lettres d’enfermés), une magistrale compréhension de la notion d’altérité confondue avec le mot altération, un admirable portrait du cercle vicieux enfermement/perversion/peur débouchant à un moment ou à un autre sur une violence réactionnaire (même si encore dans le jeu démocratique de l’élection). S’ajoutait la dimension picturale de Barbier, référence évidente à la peinture (Bacon, Lucian Freud, …) comme contre-point à la Provence évidente de la peinture (Cézanne, Van Gogh, Braque …).

Si pour ce paragraphe j’ai utilisé l’imparfait et le mot doute, ce n’est pas pour remettre en cause mon point de vue et mon impression de lecture. Je m’y tiens, et sa validité (sauf preuve du contraire de ta part ami lecteur, lectrice mon amour) est pour moi intacte. Mon présent s’y est exprimé. L’usage du passé est juste un moyen de montrer que mon impression n’était pas celle que voulait exprimer l’auteur.
Mais ça, je l’appris plus tard … après retour dans le passé …

Pour Barbier l’ennéaste, V. est le V. de ville, de toutes les villes. Et dans les villes modernes le L.G. existe plus que jamais, simple voisin de palier, ou maire de (la) ville.
Le rythme régulier et saccadé que distillent pages et cadres est un formatage volontaire pour traduire la pulsion qui martèle jusqu’à que cela cesse (ou cède). Tout est à la métamorphose inavouable … jusqu’à la rupture prochaine.

L’auteur dit que c’est là son travail le plus abouti, et il a certainement raison.
La conception des Lettres au maire de V. remonte à loin, au moins une dizaine d’années. À l’époque, le projet fût refusé par plusieurs éditeurs, et en attendant Barbier décida de s’y mettre piano-piano, une page par-ci une page par-là. Il prit son temps.
Ce fût une oeuvre en ébauche et en étude constante, dont l’état in progress fût publié dans le n°8 de la revue Frigobox.

La version définitive aujourd’hui, s’offre dans un présent qui s’y coule, et où un futur s’y coulera sans conteste. Il y a dedans l’universalité atemporelle des chefs d’oeuvres.

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Chroniqué par en février 1999