
Mélody
Faire véritablement de l’autobiographie en bande dessinée n’est pas simple. Il s’agira de se mettre à nu, d’être vu — et à la merci des regards — en un(e) autre dessiné(e), évoluer gracieusement sous cette lumière et sur ces scènes que sont les cases, au rythme et aux modulations chantantes d’un récit de soi rendant étrangement présente la mémoire.
Mélody arrivait avec son métier d’alors qui définit maintenant toutes ces conditions pour se montrer/dire aux autres, qui se superposent logiquement et/ou avec grâce à la neuvième chose.
Du dévoilement quotidien (daily strip), elle en fît son métier par hasard au début des années 80. Dans la perspective de tous ces regards «mâliques», parfois malins, elle comprend petit à petit qu’elle fait dans bien des têtes récits ou fantasmes. Curieusement elle devient elle-même dans la plus simple apparence, aussi simple d’apparence, par exemple, qu’un dessin de comics.[1] Justement, ces derniers s’affublent alors depuis une dizaine d’années d’un «X» qui correspond autrement à la majorité légale nécessaire dans son métier, moins pour l’exercer qu’y assister. Le «comix» nocturne avant-gardiste de l’underground semble s’accorder à celui d’un bar de nuit. Dans les deux, ce qui se cachait au grand jour d’une morale et/ou d’un moral ne l’est plus.
A peine sorti de l’enfance, ce langage de la neuvième chose, simple en apparence, s’arrange aussi d’une Mélody en pleine jeunesse où l’avenir n’était pas devenu un compte à rebours, où les mots étaient moins présents que les images. S’ajoute à cela, un public restreint moins lecteur que voyeur, où comme dans les comics grand public le masculin canalise ses pulsions hormonales fondant ses délires, dans la vision mouvante de corps magnifiés, voire outrés.
Ainsi l’auteure se retrouve à de multiples conjonctions. Avec le temps passant, sortir du cadre s’impose, l’à-côté, l’entre-deux, la généalogie des images vécues s’orchestre, font bande. En 1985, Sylvie Rancourt publie son «barzine», qui deviendra rapidement un comics de six numéros faisant aujourd’hui matière à ce livre.
Au-delà du témoignage évident sur une époque, un métier, une liberté de mœurs, d’expression, etc. si abondamment commenté par ailleurs, lire Mélody aujourd’hui fait apparaître un jalon important, qui s’inscrit dans l’émergence du phénomène de la «small press» si déterminant à la fin des années 80, ou celui d’une autofiction canadienne qui contient en germe des thématiques qu’exploreront après, voire parfois bien après des Chester Brown,[2] Julie Doucet ou Joe Matt. L’ouvrage de Sylvie Rancourt éclaire aussi indirectement d’une autre lumière les travaux plus récent d’auteures comme, de ce côté-ci de l’Atlantique, Nine Antico ou Aurélia Aurita par exemple.
Cette première édition de Mélody en France était attendue depuis longtemps.[3] Ce beau travail éditorial d’ego comme x nous permet de découvrir une œuvre intacte, où la fraîcheur et les possibles fondent un regard semblant paradoxal par le sujet qu’il aborde, puisque l’amont de son acuité serait une forme d’innocence.
Notes
- Un dessin à la portée de tous. Si simple pour certains détracteurs «qu’un enfant de 4 ans pourrait faire la même chose».
- Je pense à 23 prostituées.
- Depuis au moins l’article de Thierry Groensteen publié dans le numéro 73 des Cahiers de la bande dessinée, début 1987.

Super contenu ! Continuez votre bon travail!