Opus t.2

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À la fin du tome 1, nous avions laissé Chikara Nagai en compagnie de Satoko, un personnage de sa création. En effet, rappelez-vous, le manga-ka avait été aspiré dans l’univers qu’il a créé pour sa bande dessinée «Résonance». Satoko est une policière aux prises avec Le Masque, un gourou surpuissant, et pour échapper à ce dernier, ils avaient dû fuir dans le monde d’origine de l’auteur (Chikara). Ce passage dans le «réel» n’est qu’un simple séjour, nos deux héros retournant dans le monde imaginaire du manga dès les premières pages de la seconde partie d’Opus. Stupéfaits, ils ne peuvent alors que constater le délitement de celui-ci, les immeubles semblant aspirés dans le néant les uns après les autres. Que se passe-t-il ? Pourquoi l’univers de «Résonance» disparaît-il ?

Auréolée du prix Asie de la critique ACBD 2013, la courte série Opus nous revient pour les fêtes de fin d’année. Ce second tome est censé apporter une conclusion (autant que peut l’être une série restée inachevée… La métaphysique d’Opus ne connaît décidément pas de limite !) à un récit d’action rendu complexe par les différentes réalités entremêlées par Kon Satoshi. Les frontières sont de plus en plus poreuses entre le monde de «Résonance», celui de Chikara Nagai, celui de Kon Satoshi, et enfin le nôtre, celui du lecteur. Il faut dire que Rin, le personnage devant détruire Le Masque en se sacrifiant, a refusé de jouer un tel rôle et s’est rendu dans le passé afin d’empêcher le meurtre du policier dont il est la réincarnation. C’est ainsi qu’une nouvelle dimension, celle du temps, vient brouiller un peu plus les cartes d’un jeu déjà passablement complexe.

En effet, pas moins de trois nouveaux thèmes sont abordés dans ce second volume. Tout d’abord, Kon Satoshi s’amuse à mettre en place une situation de paradoxe temporel en projetant ses personnages quinze ans en arrière, au début de «Résonance», au moment où s’est noué le drame qui a lié la destinée de Satoko, de Rin et du Masque. Pour trouver une solution aux remous temporels créés par cette intervention dans le passé, l’auteur crée alors une sorte de barrière qui s’oppose, mais qui se fissure aussi, à chaque tentative de créer un paradoxe. Loin d’être un simple gadget ou une facilité narrative, ce phénomène se révèle rapidement être un mécanisme central du récit que l’auteur amènera jusqu’au bout de sa logique, avant de partir ensuite dans une autre direction.

Si le paradoxe temporel mis en place ne suffisait pas, le manga-ka aborde le thème de la projection de l’auteur dans ses personnages, particulièrement les antagonistes. Chikara avoue à Satoko qu’elle est la projection de sa femme idéale et qu’il est normal qu’il aime ses personnages. Assistant (littéralement) aux atrocités qu’il a infligé à Satoko enfant, celle du passé, il se demande comment il a pu «écrire un truc aussi glauque». La réponse ne tarde pas puisque à la fin du même chapitre (le dernier à avoir été prépublié), Le Masque révèle sa véritable nature : il est l’incarnation de la face sombre de l’auteur. On peut penser qu’il y a là une mise en abyme et que Kon Satoshi se questionne lui-même, ainsi que tous ses collègues manga-ka : que se cache-t-il vraiment dans le processus de création d’une histoire ?

C’est ainsi que le chapitre resté inachevé (et non publié jusqu’ici) développe une dernière problématique. Pendant quelques planches, Kon Satoshi rappelle qu’être auteur est avant tout un métier, que le manga est une industrie du divertissement et qu’un manga-ka doit gérer des priorités, comme tout bon professionnel. Il fait ensuite intervenir Chikara, le faisant apparaître dans le méta-univers défini comme étant celui qui est vraiment «réel». Ce dernier est là pour rappeler à Kon Satoshi qu’il a aussi des obligations envers son lectorat. L’auteur se doit-il à son public ? N’a-t-il pas une obligation morale envers ses lecteurs et ne doit-il pas chercher à conclure son histoire, même lorsque la disparition de son support de publication lui complique la tâche ? Kon Satoshi laisse alors à chacun le choix de la réponse…

Cependant, la chute de la dernière planche (si on ne compte pas celle contenant le mot fin) a de quoi laisser le lecteur perplexe. Pourquoi un tel cliffhanger ? Était-ce vraiment sur cette dernière case que l’auteur voulait conclure ? On peut penser que non, car Kon Satoshi était censé fournir trois chapitres supplémentaires (soit trois mois et une soixantaine de pages) pour terminer son histoire. Or, nous n’avons ici qu’un unique chapitre crayonné, dont seules quelques pages sont encrées. D’un autre côté, la réponse par l’affirmative est aussi envisageable, étant donné le mot de remerciement de la planche de fin. Ce sera donc au lecteur de se faire son propre avis et de laisser vagabonder son imagination entre les différents mondes offerts par Opus et grâce aux quelques mots laissés ici ou là par Kon Satoshi. Signalons enfin la note de la rédaction du magazine Comic Ryu, chargée de l’édition reliée, qui vient enrichir ces conjectures.

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Hervé Brient
Chroniqué par en novembre 2013