Palepoli

de

Portant toutes les marques du travail d’un étudiant fraîchement émoulu d’une école d’art, Palepoli s’est fait connaître en Occident par les extraits publiés dans l’anthologie Secret Comics Japan (dont il fournissait également la couverture). Son auteur, Furuya Usamaru, peut s’enorgueillir d’une carrière à la trajectoire des plus étranges : probablement le dernier talent notable à jaillir des pages du vénérable Garo, il a fait ses débuts avec ce livre, véritable bible mélangeant styles graphiques, déconstruction et expérimentation et une posture résolument alternative ; puis a enchaîné avec Short Cuts et son regard cynique et sarcastique sur la pop culture Japonaise et les fétiches sexuels ; avant de se lancer dans Pi (Pai), un plongeon tête baissée dans la quête revendiquée des «seins parfaits». Mais plutôt que de continuer à évoquer cette chute en disgrâce intellectuelle, attardons-nous sur le passé.

Palepoli est un plaisir pour les yeux. Le livre utilise une structure de gag en quatre cases qui diffère de l’organisation linéaire verticale habituelle des strips des journaux, optant plutôt pour une grille en carré qui se lit de droite à gauche et de haut en bas.
Les techniques graphiques qu’utilise Furuya varient énormément d’une page à l’autre. S’il s’appuie souvent sur des trames sombres soigneusement taillées pour reproduire textures et ombres, on trouve également une grande diversité d’autres styles commme le pointillisme, la gravure sur bois, des strips du début du 20e siècle, du pop art Japonais simplissimme, mais également des interpretations personnelles d’artistes tels que Picasso, Michel-Ange, Tezuka ou le Doraemon de Fujiko Fujio.

Au même titre que l’aspect visuel, le contenu du livre présente une grande diversité, mélangeant simples gags, jeux sur les mots, humour surréaliste et recherche conceptuelle. Furuya installe ainsi différents fils et situations récurrents qu’il revisite de loin en loin.
Parmi les plus remarquables, on peut citer la série du «Fantôme du Rejet» qui combine une structure expérimentale avec l’humour de Furuya. Chaque épisode représente l’auteur assis à son bureau en train de finir la page que le lecteur découvre. Un fantôme d’opérette surgit alors du mur et vient saboter le manga (en gribouillant dessus, en froissant la page, en y posant une main maculée d’encre, etc.) au grand désarroi de Furuya. Bien sûr, comme il s’agit de la page du livre que le lecteur a devant les yeux, elle porte elle-même les signes des interventions du fantôme — la page montrant le fantôme froisser le papier donnant l’impression d’avoir été applatie rapidement après avoir été roulée en boule. Une approche ludique que l’on retrouve tout au long de Palepoli.

Une autre des séries les plus frappantes propose des images doubles, dans lesquelles Furuya dessine quatre scènes qui forment également des portraits connus lorsque l’on les considère d’un autre angle. Et de représenter les quatre Beatles chantant Let it be avec des promeneurs contemplant le bord de mer, ou bien de figurer les quatre personnages principaux de Doraemon en utilisant des ébats sexuels accompagnés de la chanson du dessin animé qui prend ici une tonalité beaucoup plus sensuelle.
Le plus impressionnant de tous est cette réappropriation de la phrase Japonaise «Il n’y a plus ni dieu ni bouddha» («mô kami mo hotoke mo nai»). Furuya présente quatre scènes de douleur (un pendu, deux hommes brûlés au pilori, un dinosaure pleurant son rejeton mort, et une explosion atomique) d’où jaillissent cette interrogation, alors que leurs images forment également des représentations habituelles de Jésus, Bouddha, etc. — le tout sous le titre «Les dieux et les bouddhas sont ici» («kami mo hotoke mo soko ni iru»).

La fusion de tous ces éléments et styles divers peut donner le vertige au premier abord, mais la qualité de l’exécution et l’attention au détail permet d’apprécier chacun de ces aspects. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser en voyant l’ensemble, l’aspect avant-gardiste est rarement un obstacle à la lecture, même si une connaissance générale des nombreux artistes et œuvres parodiées est nécéssaire pour en apprécier toute la valeur. Palepoli est un livre qui choisit ses lecteurs, mais qui se révèle très riche pour ses élus.

(Cette chronique est parue originellement sur le blog de Stephen Paul, Robots Never Sleep)

Chroniqué par en avril 2007