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La Plaine du Kantô

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Sur cette Plaine du Kantô, «le monde flottant» ne fait plus images mais les images font un monde.[1] Un monde fait d’images dérisoires, porté par elles, résurgent du souvenir et du désir d’histoire, comme pour faire monde et y être quelque peu avant que celui-ci nous avale.

La plaine, bassin fécond de nombreuses civilisations et de nombreux changements. Ici, dans l’une d’elles, un enfant se découvre/naît au monde, dans un Japon vaincu par deux bombes.
Justement, un de ces aéronefs qui pouvait les porter s’écrase au milieu des rizières, au beau milieu (si beau) de cette plaine du Kantô. Un bombardier traçant sillon par sa chute, semant la symbolique ambivalente d’être à la fois un rêve militaire qui s’abîme et une nouvelle ère qui débute. Pour cette dernière, elle serait à la manière de celle de Perry — 92 ans plus tôt — en forçant le Japon à s’ouvrir à un autre système. Mais la manière est elle aussi autre, ce n’est pas un commodore américain qui parade en mer sur des bateaux noirs, mais un simple pilote qui s’écrase dans un avion criblé de balles, s’extirpant du métal froissé avant d’être l’ultime victime d’une guerre finie depuis peu. Pourquoi ne mourra-il pas lynché par les villageois ? Parce que désormais tout se marchandera avec un peu d’anglais, et ce, pas seulement qu’au Japon.

Mais quel est ce système ? Personne ne le sait encore à l’époque. Il faut attendre les années 70, le voir étonnamment en crise et constater cette plaine du Kantô recouverte d’une conurbation alors considérée comme la plus importante au monde,[2] pour comprendre la nature d’un système profondément prédateur et belliqueux.
En 1976, dans ce monde plus que jamais transitoire, impermanent et impersonnel, Kamimura Kazuo, 36 ans, se souvient de ses 5 ans et de ce quasi deuxième début de l’ère Shôwa.[3] A travers le jeune Kinta, ce sont les images qui remontent, portent ce monde disparu et font revenir en mémoire, en récit, peut-être en tentative d’explication, ce qui faisait germes dans les hommes d’alors, ou, plus précisément, ce qui était le terreau d’un monde aux fleurs vénéneuses aujourd’hui globalisées. Un humus humain fait d’adultes voulant «s’en sortir», fuyant leur peurs, attrapant le plaisir à tout prix aux rares fois où il semble se présenter, et ce, quelles qu’en soient les conséquences.
Le gekiga fait alors merveille, l’avers de la beauté des paysages du Kantô est une humanité sombre, déboussolée où les adultes doivent réapprendre comme des enfants qui eux, émergeants, semblent à contrario les adultes lucides de cet entre-mondes.[4]

«Peintre de l’ère Shôwa», Kamimura Kazuo regarde ce «monde flottant» où lui baigne alors, par les racines, par le passé qui l’a vu renaitre et se reconstruire dans l’immédiate après-guerre. Il parle de ce monde qui fait système par un système d’image[5] qui fait monde.[6] L’un flotte, l’autre émerge par une lecture, reflétant celui qui flotte en un reflet étrangement limpide sur cet opaque vaguant tout ce qu’il porte.

Notes

  1. La plaine du Kantô est sous-titrée «Images flottantes de la jeunesse».
  2. Tokyo-Yokohama.
  3. 1926-1989.
  4. Des enfants éthologues qui découvrent la vie et les mœurs de ces adultes comme celle d’animaux faisant partie du paysage. Ils en voient ce qui les fonde et les motive. Des «animaux» qu’ils domestiquent quelque peu parfois, leur donnant l’illusion d’un pouvoir dont Ginko explore le plus loin les limites, puisqu’il va jusqu’à choisir son sexe.
  5. Les mangas.
  6. Et contient un récit qui fait sens.
Site officiel de Kamimura Kazuo
Site officiel de Kana
Chroniqué par en avril 2011