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Le Pont de l’Ange

de

Bramanti parle d’une guerre en faisant le portrait d’un vieux pont entre les hommes de la Yougoslavie (ou ex-Yougoslavie comme le ex de ex-nihilo).
Disparu dans le fleuve, il y a si peu de temps comparé à son âge multi-séculaire, mais il y a trop longtemps comparé à celle (celui ?) des souffrances humaines, il offrait un peu de ciel à ceux déchus, victimes de la coupure du long fleuve pas tranquille. Oui, un pont offre ses ailes à ceux qui n’en ont pas

Plus vieux que beaucoup d’autres, ce vieux de Mostar qui déplaçait les foules et les aidait à se déplacer, conservait bien visible à celui qui savait lire, l’ange originel et généreux en-dessous dans ses vieilles pierres. Quand l’attaque de l’acier moderne vint, l’ange s’envola. Alors le drame s’amplifia laissant la place à celui déchu depuis la nuit des temps.

À cette horreur scrutée par caméras, Bramanti préfère le symbolique et la métaphore. Plutôt que le voyeurisme, un symbolisme (teinté d’expressionnisme aussi) !Dans ce livre aucun nom n’est cité, rien n’est montré, tout est suggéré. Et c’est mieux ainsi car on ne peut pas voir ce que pense l’autre, inutile de le disséquer avec une baïonnette ou un char d’assaut. Ça ne sert à rien, seule l’empathie est salvatrice. Bramanti nous y invite en franchissant le fleuve de l’Histoire.

Ainsi, il réussit là où d’autres ont plus qu’échoué (je pense à Herman et à Kubert [1] ) et rejoint un peu cette grandeur symbolique qui fît la force de Maus. Etant à la limite de la bande dessinée, on pourrait reprocher à Bramanti d’être dans une symbolique pas ex mais ecto ennéa monde. Ce qui fait qu’au premier abord, la typographie peut paraître là encore malheureuse et difficile. Pourtant au fil de la lecture, le ruisseau se gonfle en fleuve diégétique, passant bien sous l’arche (de mots et d’images) sans l’effondrer.
Fluidité
Ajoutons que les images sont à la limite d’une couleur et du noir et blanc. Deux rives ici encore réunies.

Comprenez bien que ce livre ne s’offre surtout pas à la contemplation de page, il n’est qu’un support/pont d’où il faut plonger dans le fleuve/narration. Ce livre se lirait volontiers comme une poésie, à haute voix !(ou murmuré à l’oreille de l’autre si la distance avec les rivages pardon … visages, est effacée, suspendue).

Notes

  1. Le récent Fable de Bosnie de Tomaz Lavric TBC (chez Glénat), utilise le même vocabulaire qu’Herman et Kubert. Mais lui aussi sait éviter les échecs rencontrés par Herman et Kubert. Tout le vocabulaire de ces trois auteurs se situant dans le rapport au réel (décrit analogiquement), ils ne peuvent se rapprocher de Maus (décrivant symboliquement) que l’on a trop tendance à vouloir comparer avec toute bande dessinée qui aborde le drame de l’Histoire avec un grand H.
    Maus est d’abord une quête individuelle et en cela un auteur comme Aleksandar Zograf (Lapin n°19) s’en rapproche énormément. La force unique de TBC c’est d’avoir un recul sur son médium et ses possibilités (cf. dernière page de l’album avec le jeu sur le symbole du (petit) Mickey), chose que n’ont absolument pas Herman et Kubert.
Site officiel de Amok
Chroniqué par en mars 1999