Ressentiment

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En français dans le texte, l’auteur a bien choisi le titre de son manga. Dans son sens contemporain, le ressentiment est de l’ordre de la rancœur, ici celle d’un quasi trentenaire espérant palier à ses frustrations par le biais de prothèses techniques et de virtualités numériques.
Dans son sens plus ancien, classique pourrait-on dire, le ressentiment traduisait un souvenir reconnaissant, qui se manifesterait aujourd’hui dans ces pages par le contexte qui les a vu naître et l’éclairage qu’elles apportent sur l’œuvre actuel du mangaka.

Publiée il y a dix ans dans le magazine Big Comics Spirits, cette série en quatre volumes (mais qui sera en deux volumes pour l’édition française) pourrait s’inscrire dans la lignée des branleurs magnifiques chers à la neuvième chose en général et à son public majoritairement masculin. Ressentiment se trouverait alors à mi-chemin entre Le vagabond de Tokyo de Fukutani Takashi et le Poor Bastard de Joe Matt, pétri d’une surenchère et d’une envie d’exprimer sa personnalité héroïque d’une manière typiquement masculine et adolescente. Souvent très drôle, le récit s’épuise pourtant dans des prétextes ou idées qui devaient surtout prendre leur sens dans les enjeux renouvelés d’une publication hebdomadaire.
Ajoutons que la vision de l’Internet sur laquelle s’appuie le récit a pris un vrai coup de vieux. Typiquement du début des années 2000, l’auteur fait sa prospective sur les notions de cyber espace ou bien d’un virtuel dont l’avenir semblait alors préfiguré par Second Life. L’on se connecte aussi par câble quasi ombilical et des ordinateurs fixes accentuant l’idée d’évasions virtuelles. Même si le récit est sensé se passer à notre époque, on est loin de l’Internet ubiquitaire multi-écran d’aujourd’hui. On fuyait la réalité vers un quelque chose forcément «cyber», aujourd’hui on chercherait plutôt à l’enrichir ou pour le moins on songe plus volontiers à une forme d’intrication plutôt que de distinction franche.

Finalement, le plus étonnant dans Ressentiment est de traduire à plein l’idée de «souvenir reconnaissant» (l’autre définition derrière l’aigreur) en montrant un chemin parcouru. Beaucoup de lecteurs seront certainement moins touchés par l’histoire que par le contexte dont elle témoigne et la distance qu’elle met à jour. Cela touche l’environnement et certains usages, mais aussi et surtout l’œuvre d’un auteur parmi les plus marquants du moment. Cette courte série devient alors un jalon permettant de comprendre et de voir en germe, une technique, des thématiques, des méthodes et des centres d’intérêt trouvant un aboutissement et une tout autre ampleur dans I am a Hero[1].
Une possibilité de lecture qui tient aussi au fait que cette œuvre d’Hanazawa joue de particularités tardivement explorées de la neuvième chose et de son histoire. En effet, l’auteur cultive à la fois l’idée de catharsis qu’offriraient les mangas aux lecteurs masculins et le fait que l’autobiographie en bande dessinée passe le plus souvent par une représentation de soi, une sorte d’avatar[2] que l’on fait vivre sur du papier. Se dédoubler, se purger, mélanger tout cela, dans ce travail du mangaka, Ressentiment apparaît par là et aujourd’hui, moins comme une œuvre réellement autonome, qu’une origine, un témoignage et un souvenir charnière.

Notes

  1. Tout cela explique aussi le fait que cette œuvre n’ait jamais été publiée en albums au Japon avant 2012, avant le succès de I am a Hero.
  2. Dans le sens à la fois de métamorphose et de représentation informatique.
Site officiel de Ki-oon
Chroniqué par en octobre 2014