
Rork, les fantômes
La grâce disparue, comment la retrouver ? Elle était en enfance, mais elle reste l’avenir, elle est toujours vivante. Samuel, chercheur de l’égaré en tout genre, l’était devenu enfant grâce aux fantômes. Une alliance qui passait par les arbres. Entre l’arborescence de leurs racines et de leurs branches, ils ont un tronc, droit comme un homme debout, qui serait comme lui, un présent et une énigme interrogeant causes et conséquences infiniment ramifiés.
Cette généalogie sylvestre, autant des événements que des filiations lointaines, se brise par une attirance pour une veuve avide, et déjà mère.[1] Manipulatrice, l’or est son concret, mais casse la grâce du spiritisme dans un matérialisme étalonné, et ramène Samuel à la raison[2], peut-être à une vie sans raisons. Mais il est des événements inestimables où le déductif échoue, où l’innocence brisée se rappelle à vous, où Rork devra être l’être de passage pour qui la sève causale exprime moins ses conséquences immédiates que ses possibles lointains.
Rork apparaît dans une histoire où il n’était pas prévu lors de son élaboration, mais où les fantômes d’une élégance, d’une grâce, ont su indirectement l’appeler et l’imposer comme point nodal. Ce fut peut-être sous l’annonce faite il y a un peu plus d’un an de l’arrêt de la série Capricorne par Le Lombard, et de la machine arrière qui s’en suivit, matérialisée aujourd’hui sous la forme d’une intégrale de la prime série (pour certains la série-mère) d’Andreas. Car oui, ces formes de rééditions sont des machines de retours en arrière, dans le temps (plus de trente ans), dans l’interrogation des racines d’un style, d’une élégance advenue, pouvant se croire perdue mais plus sûrement s’affirmer en continuelle recherche. La leçon est que ces fantômes permettent de se retrouver plutôt que de trouver. Chacun aurait le sien, celui de Rork comme certainement celui d’Andreas indique une liberté.[3]
Peut-être soubresaut éditorial devenu une histoire, Rork, les fantômes est aussi, et à la fois, une introduction et un épilogue. Samuel est, par exemple, le prophète (de par son nom) de ce que Rork sera, régnant sur une série et un espace narratif qui s’étend depuis pour certains à toute l’œuvre de son créateur. Pour celui-ci, ce sont des retrouvailles avec une grâce incarnée[4] autant qu’un questionnement sur ce qui le motive et fait son langage. A cette question, le personnage Rork s’impose comme une évidence. Il vient dans l’histoire comme une clé, une réponse qu’il ne possède pas mais sait faire émerger de soi (allant de soi), comme la parole et le verbe.
Au dérouté, aux déroutants, qui sont ici tous des personnages,[5] l’album semble dire qu’il ne faut pas être dérouté par la forme et faire face au déroutant en sachant qu’il ne l’est que si l’on se limite à le nommer comme tel. En quelque sorte, une invitation de l’auteur vers son œuvre s’adressant à tous (lecteurs, éditeurs, commerciaux) et surtout au plaisir des questions aux ramifications inépuisables qu’elle pose, aux mystères pleins de possibles qu’elle provoque.
Notes
- Statut renforcé par le fait que le père est parti bien avant que ne naisse l’enfant, lui-même incarnation « tyrannique » de l’avidité maternelle où richesse et pouvoir se confondent, font l’ultime.
- A celle d’un commerce, avant Samuel ne retrouvait que des valeurs sentimentales, qu’elles s’incarnent dans des êtres ou des objets.
- Une liberté symbolisée par un vol de trois oiseaux. Une liberté dans l’espace (ciel infini) et peut-être dans le temps puisque la nature de celui-ci est triple : passé, présent et futur.
- Incarnation qui serait dans l’album la petite fille nommée Grace qui retrouve ultimement sa mère.
- Samuel est le dérouté, et les déroutants sont ceux que Samuel nomme les « dérouteurs », les personnages en uniforme rouge visibles en arrière-plan sur la couverture.

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