Routine

de

L’homme, dans sa voiture, progresse. Il grimpe une route de montagne, qui, sans nom, pourrait être celle de son confort et de son autonomie hors nature.
Mais un animal de montagne, ursidé de son état, surgit en sens inverse sur ce chemin tracé entre abîme et domination rocheuse, entre chuter de et chute de pierre.
Aperçue dans une bipédie que l’on interprète alors à une réaction face au danger, la bête est projetée en l’air («CHOC») par le véhicule de l’homme. A terre, inerte, l’humain l’examine pour mieux s’enfuir devant ce cadavre supposé et rejoindre ce sommet qui est son confort. Mais dans sa maison douillette, l’affaire donne de l’amèr à son habitus et lui gribouille ses sphères de rêve. Laborieusement réveillé, sa voiture se révèle n’être plus là. Que se passe-t-il ? Vol ? Il faut redescendre, chercher, signaler, faire avec la chose absente. Il faut donc marcher, soulever la poussière du sol avec ses pieds, redescendre par cette route. Mais une voiture surgit, le projette en l’air. A terre, inerte, l’ursidé l’examine pour mieux s’enfuir devant ce cadavre supposé et rejoindre ce sommet qui… etc.

Le glissement s’est opéré, l’ours était au volant du véhicule,[1] l’histoire se rejoue du côté animal. En quoi celui-ci se distingue-t-il ici de l’homme ?
En rien en l’espèce (genre) ou, dans l’indétermination de leur silhouette, ni plus ni moins que ce qui différencie un homme d’un autre. Par leur comportement ils ne font qu’un, des êtres vivants se rejoignant en donnant à la faute et à la culpabilité le statut d’instinct, que renforce le mutisme total d’une narration où seul l’impact entre un objet et un être vivant arrive à faire mot («CHOC»).

Si cet hors-langage les réunit, ce et celui qui les raconte(nt) les distingue(nt). Routine est écrit par un membre de l’espèce humaine pour les membres de l’espèce humaine. Les accidents sont donc toujours montrés du point de vue de l’homme, conducteur prenant la fuite, puis victime projetée en l’air. Les rôles s’interchangent certes, mais l’anthropocentrisme reste entier, la bipédie de l’ursidé n’était pas due à sa peur et l’on se souvient que l’éditeur de cet album s’est dédié à l’enfance et son cortège d’animaux de contes humanisés qui la grandiront.

Le titre de cet album est remarquablement choisi, couvrant en échos les quatre sens du mot routine.
Tout d’abord celui lié à l’informatique, dans le sens où cette histoire est une mécanique/programme bien huilé(e), un destin/providence implacable, une «machine infernale» disait Cocteau, ici plus sisyphienne qu’œdipienne.
Ensuite il y a cette définition liée à l’habitude, visuelle dans une premier temps (les scènes de confort/inconfort dans la maison), puis narrative dans un second, car l’histoire est potentiellement un mouvement perpétuel (semblant en deux temps dans un premier temps) sans accrocs traduisant l’éternel présent du conforme et de l’indécisionnel.
Enfin les sens plus rares d’habilité et de prestidigitation, entre le talent de l’auteur/conteur Michel Galvin,[2] et cette magie que l’on sait truquée qui fait qu’un ours blanc surgit en couverture[3] d’un nuage de poussière, comme un lapin de la même couleur dans ces nuages de fumées dont certains magiciens ponctuent ou scénographient leurs tours.

A la dernière case, la fin reste paradoxalement quelque peu ouverte. Soit la scène suivante se répètera à l’identique. Soit nous verrons le point de vue de l’ours et la voiture arriver vers lui. Dans les deux cas l’histoire est un éternel retour, mais dans le premier il est uniquement en deux temps et purement celui de l’homme. Dans le deuxième il est en quatre temps, le point de vue de l’ours alternant avec celui de l’homme.[4] L’ours est certes humanisé mais il offre alors la possibilité plus appuyée d’une altérité qui interroge l’homme dans sa condition et la perception de l’animal. Un questionnement qui, ultimement ne cassera pas a priori la routine des personnages, mais plus certainement celles des plus ou moins jeunes lecteurs/lectrices.[5]

Notes

  1. Dont on ne saura jamais comment il disparaît ou s’échange. Mais le but d’un moyen de transport n’est-il pas d’amener d’un point A à un point B ? Et que ce soit l’homme ou le destin qui le conduit peut n’être, après tout, qu’une affaire de point de vue ?
  2. Il a trouvé «le truc» qui fonctionne et le fait fonctionner.
  3. Et dans l’histoire.
  4. En quatre temps : 1/ H(omme) C(onducteur) voit O(urs) V(ictime) ; 2/ H V voit O C ; 3/ O V voit H C ; 4/ O C voit H V.
  5. Notons que le quatrième de couverture, reprend la planche trois, et que lue dans la continuité de la dernière planche, elle bloque l’histoire dans un rythme en deux temps. Je dis bloque, car à mon sens elle verrouille alors l’histoire dans une forme d’ironie en introduisant une rupture de point de vue (on passe directement à celui de l’homme). Comme il s’agit d’un quatrième de couverture, qu’il s’agit d’un extrait, cette lecture reste une possibilité, voire un clin d’œil à la manière de la couverture qui met en avant (au premier plan) un détail de la dernière planche (donc du dernier plan puisqu’elle est composée d’une seule case).
Chroniqué par en septembre 2007