Silent Blanket

de

Silent Blanket est un drôle de livre. Le dessin très particulier de Gabriella Giandelli, avec son mélange de couleurs directes très douces et de visages lisses et lumineux contraste fortement avec l’histoire sordide et sans espoir qu’elle raconte.

Paul vit seul, dans un appartement sale et triste où il remâche le souvenir d’une morte en parlant aux cafards. Ce doux illuminé est la proie rêvée pour les camés d’à côté qui cherchent un pigeon : ils vont lui faire porter le chapeau du meurtre de l’un d’entre eux, et Paul va se laisser glisser dans cette fatalité glaciale, tout réflexe de survie annihilé par son chagrin.

Les décors sombres et immobiles de Gabriella Giandelli traduisent magnifiquement cette lente fuite du réel, comme si l’on voyait le monde à travers les yeux de Paul : peuplé d’ombres et d’animaux immondes et amicaux, dont les humains ne sont au fond qu’une sous-espèce à peine plus méprisable.
Sur ces turpitudes flottent des visages impassibles et blancs, ceux de Paul, qu’on croirait échappé d’un Roi et l’oiseau dépressif, et de Janet, la droguée d’à côté qui va l’entraîner dans son jeu. Les amis de Janet, bande de malfrats aux épaules épaisses et aux mâchoires serrées, campent une faune de mauvais garçons à la Cocteau, partagés entre la violence et l’ennui, parfaitement intégrés à la moleskine rouge des snacks où les campe Giandelli.

Unité de ton, donc, prenante, et forte. Pourtant il flotte sur tout cela un parfum entêtant d’inutilité. L’auteur a si bien réussi à peindre l’absence et l’apathie de son personnage qu’elle en devient contagieuse. Devant le glacé des dessins, et la froideur du récit, on se surprend parfois à tourner la page avec effort. Rien ne donne vraiment envie de lire, et l’on doit faire un effort pour accrocher à ce récit qui s’ingénie à s’éclipser.
Un silence trop bien réussi ? Une trop grande absence de vie ? Peut-être Gabriella Giandelli souffre-t-elle d’une trop longue expérience d’illustratrice, et son récit ne parvient pas toujours à nouer les fils de la narration, enfermant l’oeil dans une case, soudain lassé, comme s’il était lui-même dépris du livre.
Il y a, peut-être, une complaisance de la froideur comme il y a ailleurs des complaisances de l’énergie …

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Chroniqué par en janvier 2000