Le Voyage de Ryu

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Très schématiquement, la science fiction semblerait, au nom d’un merveilleux scientifique, imaginer le futur de trois manières : d’abord l’exotisme (autres planètes et/ou autres formes de vies), ensuite le paradis reconquis (par les grâces techno-scientifiques[1] ) et enfin son pendant diamétralement opposé : l’enfer.
Celui-ci est le plus souvent[2] une conséquence à des degrés divers des deux premières catégories ; qui pourrait être une invasion extraterrestre pour le premier, par exemple, ou la perversion de la science/connaissance par un homme (savant fou) ou un groupe d’hommes pour le second.

Faire découvrir l’enfer à venir au lecteur, c’est à la fois extrapoler sur les travers d’un présent et mettre le doigt sur ce qui ne progresse pas en nous. De l’erreur est humaine, à l’erreur c’est peut-être nous, il n’y avait qu’un pas que deux bombes atomiques lancée sur le Japon en 1945, puis une prise de conscience des revers écologiques de nos civilisations occidentales dans les décennies suivantes, vont faire franchir. La question devient alors : allons-nous trahir notre futur imaginé, celui à l’exotisme fascinant et/ou au paradis reconquis ?

En cela, Le voyage de Ryu décrit par Ishinomori Shôtarô reflète un bien après d’un monde tel qu’il était alors à la fin des années 60, tel qu’il questionnait un avenir aussi déchantant que la décennie pouvait être riche de promesses. Guerre froide Est-Ouest, contestations de la jeunesse, crise pétrolière, etc. tout cela est bien connu, tout cela se reflète dans cette œuvre du mangaka de la même façon que dans d’autres œuvres occidentales de cette période. Voir à quel degré, de quelle manière et au bénéfice de quelle singularité/spécificité d’un médium cela se met en place, donne à une telle bande dessinée des éléments de fascination supplémentaires, d’autant qu’elle utilise des codes d’une modernité, ou de statuts du progrès (la SF), devenus des universaux mais pouvant déjà se révéler juste une nouvelle mythologie autonome, ayant moins à dire sur l’avenir qu’à faire oublier et divertir.[3]

Finalement, Ryu est un homme de notre époque, même si d’un alentour de l’an 2000 extrapolé en 1969. Son aller et retour sous les auspices des paradoxes de la relativité en disent plus sur la relativité de son regard que sur la théorie einsteinienne de l’espace et du temps. Le voyage est «un chemin à parcourir». A travers ce futur lointain, Ryu cherche une voie dans un monde de travers, fait des travers d’un présent d’alors qui ont persisté malheureusement jusqu’à nous.
C’est principalement là, l’universalité et l’actualité de cette œuvre qui, dans la relativité d’une lecture, affirme autrement l’idée d’un futur à bâtir.
A cela se greffe le savoir-faire d’un auteur mort deux ans avant l’an 2000, sachant pratiquer une surenchère feuilletonnesque comme un défit jovial lancé à lui-même et à ce qu’il pratique. Oui, le voyage est aussi dans la manière de faire une histoire, d’expérimenter ce montage d’images uniques, novateur, d’avoir se recul donnant une force et un rythme qui en fera une perspective vivante à tout lecteur/lectrice et ce quelque soit l’avenir.

Notes

  1. En quelque sorte, il suffisait d’attendre d’avoir bien assimilé le fruit de l’arbre de la connaissance.
  2. Mise à part des catastrophes naturelles, séismes géants, comètes percutant la terre, etc.
  3. Un travers appelé aujourd’hui sci-fi. Et, ici, un travers où tomber d’autant plus facilement pour un lecteur non japonais, que cet univers de science-fiction semblera bien plus accessible que des thématiques vernaculaires.
Site officiel de Glénat (Manga)
Chroniqué par en septembre 2011