Anime book, des bandes dessinées comme les autres

de

Avant, les choses étaient simples, l’anime book (prononcez «animé bouc») se distinguait facilement, il était l’adaptation d’un dessin animé en bande dessinée, en utilisant les photogrammes du premier que l’on agrémentait d’onomatopées, de textes dans des bulles, narratifs ou récitatifs à la manière de la seconde.
L’anime book était, dans une ère anté-DVD et dans le cas — restant rare malgré tout — où il existait, le seul moyen d’avoir son film animé préféré consultable à loisir, pour admirer certaines scènes/images sans devoir rembobiner la cassette VHS, rayer sa fragile bande magnétique et surtout donner à voir dans un rendu bien supérieur certains détails qui exprimeraient ceci, ou plutôt cela, voire bien d’autres choses encore. L’anime book était un retour aux sources du mot «album»,[1] offrant une collection d’images suivant l’ordre narratif du scénario du film, donnant à toute jeunesse la possibilité idolâtre et mémorielle de ce qu’elle avait vu/vécu dans une salle obscure, l’avait fait rêver au point qu’elle se l’avouera «cuculte» plus tard et en souriant nostalgiquement.

Comme son nom ne l’indique pas, l’expression «anime book» viendrait du japonais et s’est démocratisée en France et ailleurs en même temps que l’animation et la bande dessinée nippone devenaient de nouvelles normes pour l’imaginaire populaire.[2] Avant, ce genre de livres étaient des bandes dessinées comme les autres, du moins pour ceux qui les fabriquaient. Pour les amateurs de bandes dessinées, ce n’étaient que des produits dérivés s’octroyant l’expression bande dessinée, alors qu’ils n’en n’avaient ni l’homogénéité, ni la liberté. C’étaient pour eux comme des romans photos sans intérêt, régressifs de leur point de vue, d’autant que certains dessins animés sont eux-mêmes inspirés de bande dessinée, ou d’un auteur de bande dessinée. Pour faire simple, ce qui finit par être qualifié d’anime book dans les années 90, se situait pour un amateur de bande dessinée entre le plagiat et la dérive, de nature infantile qui plus est, puisque leur éventuelle irruption marquait immanquablement l’approche des vacances scolaires.
L’expression anime book se révéla alors bien avantageuse, puisqu’elle mit des mots sur un problème pour le résoudre en distinguant l’un de l’une. Tintin et le lac aux requins ou Les maîtres du temps étaient des anime books, pas des bandes dessinées, désormais on savait qui était qui.

Mais aujourd’hui les choses changent à nouveau, au point que la distinction devient difficile. Dans un de ces lieux de perdition spécialisés dans la neuvième chose, j’ai pu voir un libraire, certes un peu pris au dépourvu, répondre par l’affirmative à une cliente qui lui demandait si Brendan et le secret de Kells (tome 1) publié par Glénat était bien «la traduction de la bande dessinée qui a inspiré le film». Ce libraire lui répondit après avoir rapidement feuilleté l’album. Curieux de voir que ce dessin animé aurait été inspiré par un comics dont je n’avais pas entendu parler, je me mis à feuilleter ce livre et c’est en cherchant le copyright d’origine, que je fus surpris de voir qu’il s’agissait bien d’un anime book.
Peut-être que mon opinion avait été trop rapidement faite par la réponse du libraire à sa cliente, mais pour qui feuillettera ce livre, il constatera que la distinction demande attention et que les auteurs de cette adaptation jouent avec finesse de la tabularité de chaque planche. On pourra me dire aussi que cette attention est portée par le sujet du film et n’est qu’un clin d’œil appuyé — peut-être trop — au Livre de Kells, le célébrissime manuscrit irlandais, chef d’œuvre d’enluminure datant du IXème siècle. C’est possible, mais le résultat est là,[3] et n’ayant ni vu le film, ni lu cet album je ne m’arrêterai que sur une constatation plus générale qui tient à l’évolution de l’image dans les bandes dessinées.

Car ce que montre aussi cette anecdote, c’est à quel point nous sommes habitués à une sophistication grandissantes des images de bande dessinée, permise par l’outil informatique.[4] Celui-ci, utilisé pareillement dans l’animation, a gommé une vieille distinction. Mon propos ici n’est pas de juger de la valeur de toutes ces images, mais de constater une convergence là où il y avait une distinction, à laquelle s’ajoute une maîtrise bien plus naturelle de ses techniques de la part des jeunes dessinateurs ou dessinatrices.[5]

De même que l’on ne se soucie plus vraiment de savoir si les textes des bulles sont manuscrits ou typographiés, un sentiment de nature comparable semblerait émerger à l’égard des qualités propre des images. Ce qui va en s’affirmant serait alors la qualité de montage de ces images, de leur montage dans la page. Ceci n’est pas nouveau,[6] mais explique (peut-être) le fait que les anime books peuvent être aujourd’hui perçus comme des «bandes dessinées comme les autres». La prochaine étape, qui sait, pourrait alors être la phagocytose par la même manière du roman photo par la bande dessinée.

Notes

  1. Sorte d’album Panini sans avoir la frustration des images en doubles, mal collées ou manquantes.
  2. Je rappellerai cette définition que j’avais proposée il y a moult années : «anime book : Expression japonaise désignant un manga fabriqué à partir de photogrammes de dessins animés. On y rajoute des textes, des bulles et des onomatopées après les avoir découpés, manipulés et ré-agencés. Sorte de manga en couleur (mais aussi beaucoup plus cher), venant achever le cycle manga — dessin animé. On trouve aussi l’expression “animekomikkusu” et “anime-ban”».
  3. J’ajoute que la consultation le même jour du livre Valse avec Bachir a appuyé d’une autre manière ce point de vue.
  4. De la conception à l’impression.
  5. Générations qui ont aussi un rapport à l’audiovisuel que les générations précédentes n’avaient pas, du moins pas avec la même proximité.
  6. Je te renvoie, ami lecteur, lectrice mon amour à ma chronique sur Le Photographe dessiné par Emmanuel Guibert.
Dossier de en mars 2009