#TourDeMarché (4e saison)

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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur les rézosociaux)

C’est vendredi, c’est donc (à nouveau) #TourDeMarché, et une fois n’est pas coutume, cette semaine on va s’intéresser aux influenceurs. C’est parti !
Pourquoi ce sujet, me direz-vous ? Pour une raison toute simple : comme l’indique Livres Hebdo dans cet article, « cette année, ce n’est pas un mangaka japonais qui domine le classement des meilleures ventes Livres Hebdo/GFK mais bien le youtubeur français Inoxtag ». Et de préciser que « l’ouvrage Instinct Vol 1 paru chez Michel Lafon le 21 novembre dernier s’est déjà écoulé à plus de 320 000 exemplaires et dépasse, en termes de ventes, le dernier tome de One Piece de Eiichiro Oda (Glénat). » Mazette.
(c’est aussi, toujours selon Livres Hebdo sur la base des données GfK, la 7e meilleure vente de livres pour l’année 2024, ce qui le place juste derrière le prix Goncourt 2024, Houris de Kamel Daoud, jolie performance)

Je dois avouer que je n’ai pas eu l’occasion de lire la bande dessinée scénarisée par Inoxtag. Cependant, il y a fort à parier que l’ampleur de son succès n’est pas seulement due à la qualité de son écriture, et que ses neuf millions d’abonnés pourraient y avoir joué un rôle.
Dès 2020 et l’étude du CNL sur « Les Français et la BD », on relevait cette importance des « influenceurs » : « c’est chez les 13-15 ans que les vidéos d’un Youtuber ou d’un podcaster ont le plus de poids. »

La dernière grande étude en date du CNL, « Les jeunes Français et la lecture » en 2024, confirmait ce mouvement, en constatant que « 53 % des lecteurs loisirs utilisent au moins un réseau social pour s’informer sur des livres »
.
Alors certes, on ne parle ici que de conseil, ce qui ne correspond pas vraiment au cas Inoxtag, qui, se revendiquant régulièrement de « l’esprit shonen » lors de son ascension de l’Everest, a ainsi décidé de se lancer dans l’écriture. C’est le 9 novembre 2024 que l’on découvre l’existence du projet, annoncé sur sa chaîne Youtube, par le biais d’une vidéo comptabilisant aujourd’hui plus de 5,6m de vues en guise de campagne marketing. Deux semaines plus tard, l’ouvrage est en librairie (et même chez Célio avec la collection « Follow your Instinct »), Inoxtag fait le tour des plateaux télé pour en parler, alors que nombre d’influenceurs s’emparent du sujet sur les rézosociaux. Bref, ça explose.
Les titres de certaines vidéos laissent d’ailleurs entrevoir une forme de jubilation dans cette revanche des Youtubeurs sur les productions plus « institutionnelles » : « INOXTAG met le manga Français en PLS » écrit ainsi Le Chef Otaku, lui-même ayant tenté le coup par le passé.
Et en effet, l’ampleur du succès impressionne, surtout quand on considère l’historique de ce genre de publication s’appuyant sur la notoriété de ces nouveaux « producteurs de contenu », comme on les appelle parfois.

J’aurais pu me tourner vers l’une des listes que l’on trouve sur Internet, mais il se trouve que GfK liste « INFLUENCEURS » comme métadonnée, c’est donc un sujet très sérieux. (je me suis permis d’y ajouter Bleak, de Squeezie, qui n’est pas dans la liste de GfK, laquelle va du Joueur du Grenier à Emma en passant par Cyprien, pour ne citer que ceux-ci)
Voici l’évolution des ventes en volume de cette catégorie particulière, sur la période 2003-2023, histoire de se faire une idée.

Sans surprise, c’est une catégorie relativement récente, avec comme pionniers Simon’s Cat (2009) puis Le Joueur du Grenier (2012), avant que l’on ne voit se multiplier les projets à partir de 2014-2015. Multiplication toute relative, puisqu’on ne compte que 18 élus. Au total, l’ensemble représente moins de 3,2 millions d’exemplaires cumulés sur la période 2009-2023 — à comparer avec les ventes cumulées du marché global, qui se situent autour de 740 millions d’exemplaires. Soit un demi-pourcent, à peine.
D’autant plus qu’il faut souligner les importantes disparités en terme de succès entre les différentes initiatives, avec un trio de tête (Ki & Hi / Michel Lafon, Frigiel et Fluffy / Soleil, et Roger et ses humains / Dupuis) qui concentre près de 70 % des ventes. Mais au-delà des ventes, certains de ces ouvrages ont eu un retentissement médiatique important : je pense en particulier à la série Un autre regard d’Emma, qui a beaucoup fait parler d’elle et a su dépasser les frontières de sa communauté initialement acquise.

Avec ses 320 000 exemplaires écoulés, Inoxtag place d’ores et déjà le volume 1 d’Instinct sur le podium des meilleures bandes dessinées d’influenceurs, et s’affirme comme le phénomène éditorial de l’année 2024. Atteignant des sommets, si l’on peut dire. Hum.
Bien sûr, la difficulté de l’exercice, c’est de durer : parce que si l’on réussit à installer un tome 1 sur la seule force de son nom, c’est bien la qualité de l’ouvrage qui détermine si l’on va conserver son lectorat pour le tome 2. C’est là que tout se joue. Là où la série Ki & Hi présente une courbe d’érosion comparables aux séries manga, c’est moins le cas pour des séries au format « album », comme par exemple Roger et ses humains pour laquelle les ventes ont été divisées par 6 entre le tome 1 et le tome 2. Aïe.
Bref, pour Inoxtag, c’est maintenant, avec la perspective du deuxième volume d’Instinct, que les choses sérieuses commencent, une fois dissipé l’impact médiatique de ce lancement à succès.

Dossier de en janvier 2025