Mille bulles, la bande dessinée à l’école

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Peu évoquée dans les sites ou magazines spécialisé en neuvième chose sinon pour chroniquer les albums qu’elle accueille, la collection «Mille bulles» de L’école des loisirs vient de faire discrètement son entrée dans les librairies et pourrait représenter une petite révolution en matière de bande dessinée pour la jeunesse.

Mais commençons par un souvenir. Il y a cinq ans, une enfant de huit ans à qui j’avais fait découvrir la revue Capsule Cosmique m’avait expliqué qu’avant cela elle ne lisait aucune bande dessinée, car elle pensait que c’était seulement pour les «grands», les adultes. Elle dévorait albums et livres jeunesse, mais ne lisait aucune bande dessinée, même si celles-ci étaient largement présentes dans une bibliothèque familiale conséquente, mais reflet fidèle d’un neuvième art dont le paysage éditorial est depuis une trentaine d’années quasi-entièrement tourné vers le public dit adulte.[1]
L’autre point intéressant de cette anecdote, est que cette jeune lectrice n’avait pas trouvé non plus, dans la bibliothèque de sa classe ou de son école, des albums de bande dessinée qui auraient pu lui indiquer qu’il en existait pour sa tranche d’âge ou son niveau de lecture, à la manière des romans, albums ou contes dont elle était familière.

Originellement liée à l’univers de l’enfance, la bande dessinée s’est tellement évertuée à devenir adulte, qu’elle en a délaissé ses plus jeunes lecteurs. Même les succès d’un Titeuf et la continuité de l’existence du journal Spirou montrent paradoxalement que la norme reste le public adulte, car le premier pratique un second degré qui est un regard d’adulte sur l’enfance[2] et le second poursuit une tradition qui touche plus d’anciens enfants que de jeunes lecteurs.[3]
Une bande dessinée jeunesse se définirait avant tout pour l’enfance, à la fois d’elle et avec elle, dans des valeurs qui ne se limiteraient pas au divertissement, mais s’offriraient d’abord comme doucement édifiantes. Cette bande dessinée existe, et de plus en plus, mais peine à exister. Elle manque d’une visibilité qu’elle ne trouve ni dans la presse jeunesse,[4] ni dans les librairies spécialisées[5] et, enfin, ni à l’école.

Certes, ce dernier point est celui où les éditeurs de bande dessinée ont pu essayer quelque peu d’agir dernièrement. Se rappelant peut-être que le ministère de l’éducation nationale n’hésite plus depuis longtemps à sélectionner des bandes dessinées dans ses listes de lectures recommandées, ils ont pu prétendre se rapprocher de l’institution scolaire en faisant valoir leur tendance éditoriale (récente) à adapter des classiques de la littérature faisant plus que souvent le fond de l’édition jeunesse.[6]
Reste que tout cela est timide, n’est pas du savoir-faire des ces éditeurs et ne résoudra pas ce manque de visibilité persistant. C’est justement là que la collection «Mille bulles» de L’école des loisirs peut avoir un rôle salvateur, voire représenter une petite révolution pour la bande dessinée jeunesse.

La collection d’abord : celle-ci [7] «propose le meilleur de la bande dessinée jeunesse, au format de poche»,[8] en étant ouverte à tous les styles, «genres et à tous les créateurs, des plus classiques aux plus contemporain».[9] Elle pratique donc la réédition en association avec plusieurs éditeurs.[10] Le prix est attractif (5,90 €) et le format semble profiter du savoir faire de L’école des loisirs en la matière, notamment celui développé avec sa collection «Lutin poche»[11] ou celle nommée «Petite bibliothèque». Les planches sont ici réduites, elles ne sont jamais remontées.[12]
Pour cette première fournée six titres ont été publiés[13] qui témoignent de la culture «jeunesse» de l’éditeur et d’une volonté de toucher la diversité des jeunes lecteurs dans la tranche d’âges 6-10 ans

La force de cette initiative vient essentiellement de la position de leader de L’école des loisirs dans le secteur jeunesse et de son lien particulier avec l’institution scolaire. Avec une volonté sincère d’expliquer et de démontrer tout l’intérêt qu’il y a à faire et développer une littérature pour la jeunesse (albums et romans), cet éditeur a su depuis longtemps s’intéresser aussi bien aux instituteurs, professeurs ou bibliothécaires en déclinant informations, réunions et outils pédagogiques se structurant autour de la revue L’école des lettres, qu’aux élèves avec le création en 1981 d’un club des livres dit «l’école des max», qui s’adresse à tous les enfants en distinguant différentes tranches d’âges[14] et dont le succès est tel que 10 % des élèves en France y sont abonnés.

L’intérêt de la collection se jouera alors en deux temps. D’abord comme circuit de distribution pouvant rendre visible la bande dessinée pour la jeunesse dans les librairies spécialisées jeunesse,[15] et — peut-être surtout — dans les écoles où elle pourra trouver sa place autrement et plus naturellement auprès des élèves et des équipes pédagogiques.[16]
Ensuite de faire de la collection un lieu de création, son format pouvant, par exemple, se prêter aussi à la réalisation d’anthologies thématiques. Pour l’éditeur jeunesse, ce sera certainement là le point le plus délicat, celui de savoir appréhender un univers qui n’est pas le sien, qui ne se limite pas aux majors de la bande dessinée avec lesquelles il est pour l’instant exclusivement associé.[17]

Tout cela reste de l’ordre du moyen terme. Cette collection sera à la hauteur de ses promesses si les éditeurs, mais aussi les auteurs de bandes dessinées, en comprennent l’enjeu.[18] Il est bien évidement trop tôt pour juger du succès de cette initiative. Il faudra plusieurs mois et en passer, par exemple, par des méventes en librairies spécialisées bandes dessinées qui ne verront un intérêt pour cette collection que dans son prix et le nombre de titres qu’elle proposera, voire l’éventuelle édition d’un classique franco-belge qui attirera les collectionneurs.
Autant d’épreuves qui au vu de l’histoire et de l’organisation particulière de L’école des loisirs ne sont pas insurmontables, et peuvent laisser plus qu’espérer une visibilité grandissante de la bande dessinée s’adressant aux plus jeunes. [19]

Notes

  1. Ne pas confondre avec «pour adulte».
  2. Le tout premier album de Titeuf visait clairement les jeunes adultes. Au fil des années, il y a eu un glissement vers les lycéens/collégiens, puis l’adaptation en dessin animés a permis de toucher les plus jeunes lecteurs.
  3. J’ignore si l’on a une idée de l’âge des abonnés au journal Spirou, mais tous ceux que j’ai pu croiser sont des adultes dont la motivation première à cette souscription n’est jamais celle d’être parent.
  4. Ou à cause de ceux qui dominent ce secteur. Capsule Cosmique aurait pu être un succès si Milan avait su faire son métier.
  5. De par sa faiblesse, la bande dessinée jeunesse a une portion congrue dans des librairies spécialisées bande dessinée, mais aussi dans celles spécialisées jeunesse.
  6. Notons que cette volonté d’adaptation semble d’abord motivée par un manque de scénarii et la présence de nombreux dessinateurs cherchant emploi (arguments développé par Thierry Groensteen), mais aussi par le succès important d’adaptations comme celle des «Proust en bande dessinée» par exemple.
  7. Dirigée par l’écrivain Xavier-Laurent Petit.
  8. 16 cm en largeur, 22 en hauteur.
  9. Voir le dépliant en pdf.
  10. Actuellement : Dargaud, Delcourt, Dupuis et Casterman.
  11. L’équivalent des poches pour les albums jeunesse. Une collection actuellement copiée par de nombreux éditeurs et qui a commencé il y a trente ans.
  12. Chose que pratiquait par exemple la collection «16×22» chez Dargaud dans les années 70-80. Autres temps (sans P.A.O.), autres mœurs (toucher à l’intégrité d’une planche ne semblait un problème pour personne).
  13. Max & Zoé la grosse bêtise de E. Davodeau et Joub (Delcourt), Le vieil homme ou le serpent ? de T. & S. Morrison et P. Lemaître (Casterman), Ludo, tranche de quartier de Bailly, Mathy et Lapière (Dupuis), Louisette la taupe, Rapidissimo de B. Heitz (Casterman), Monsieur Blaireau et Madame Renarde t.1 de B. Luciani et E. Tharlet (Dargaud) et Etoile le petit cirque de Rascal et P. Elliott (Delcourt).
  14. Bébémax (0-3ans), Titoumax (2-4 ans), Minimax (3-6ans), Kilimax (5-8 ans), Animax (7-10ans), Maximax (9-12 ans) et Médium club (ados).
  15. L’éditeur insiste par exemple pour rapprocher cette collection des albums en poches.
  16. Qui auront un accompagnement pédagogique à leur disposition sur le site de la collection.
  17. Un des reproches récurrent fait à L’école des loisirs est d’être trop classique, pas assez innovant surtout depuis l’émergence de maisons d’édition comme le Rouergue par exemple.
  18. Joan Sfar a refusé l’édition de Petit Vampire dans cette collection par exemple.
  19. Notons qu’a l’occasion de la création de la collection « Mille Bulles », le numéro de L’Ecole des lettres d’avril 2010 sera entièrement consacré à « La Bande dessinée jeunesse ». Pour plus de précisions voir le site de L’Ecole des lettres.
Dossier de en mars 2010