Numérologie Comparée

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Depuis quelques années désormais, Gilles Ratier (secrétaire général de l’ACBD) publie un rapport d’une quinzaine de pages, qui se veut donner un panorama en chiffres de la bande dessinée francophone. Et de décerner à chaque «cru» le nom d’une grande tendance — «diversité» en 2002, «consécration» en 2003, «concentration» en 2004 … et «mangalisation» en 2005. Oui, vous avez bien lu. Mangalisation.
En lisant ledit rapport, on comprend que derrière cet affreux néologisme, on trouve le concept que la bande dessinée asiatique gagne du terrain. Et c’est pratique, parce que visiblement, rien, de la production aux médias, de métiers à la culture, rien n’échappe à la «mangalisation». Et personne n’en parlait jusqu’à ce que Gilles Ratier n’en fasse état dans son rapport. Dingue.
D’ailleurs, il en parlait déjà, l’an dernier. Sauf que l’an dernier, c’était la concentration qui était la cause de tout ça, la «concentration sur la BD étrangère» pour être plus précis — à savoir que «BD japonaises ou coréennes (mangas ou manwhas) restent les plus appréciées par un public jeune et représentent un marché de plus en plus important». Ah. Alors, c’est quoi la vraie raison ? D’autant qu’avec les nombreux rapprochements d’éditeurs en 2005, on pourrait cette année encore parler de concentration. Concentration, ou mangalisation ? Que faut-il croire ? Où est la vérité ?
A du9, il n’y a vraiment qu’un seul chiffre qu’on apprécie, à la folie même — le 9. Pour les autres, on n’est pas très fans, que ce soient des notes ou des chiffres de vente. Mais pour une fois, on a décidé de s’y coller un peu, et voilà ce qu’on a tiré de ces chiffres pour 2005.

1. Le top des plus gros tirages

L’avantage du rapport de Gilles Ratier, c’est qu’il fournit des chiffres. Souvent trop, et pas forcément toujours bien utilisés, mais au moins, il y a ce qu’il faut. Pas de chance pour l’analyse, par contre, on n’a que des chiffres de tirages et pas des vrais chiffres de ventes, mais on va essayer de s’en contenter. Et, plutôt que de passer trop de temps à compter le nombre de titres sortis dans telle ou telle catégorie (et d’en déduire immédiatement son importance ou son essor), nous allons commencer par regarder le top des plus gros tirages.

Note préliminaire : considérer les tirages, c’est se limiter à la vision du marché qu’en ont les éditeurs, et à leur perception du potentiel de leurs poulains. C’est donc une vision unilatérale et limitée, qui passe sous silence le rôle (pourtant important) du lecteur — qui validera ces choix par un achat, ou pas.

Première constatation : pas de place pour les petits nouveaux
L’ensemble du top 100 est dominé par les longues séries déjà bien établies : on trouve ainsi 48 titres qui appartiennent à des séries de plus de dix volumes, et qui représentent 62 % des tirages cumulés du top 100.
Les nouvelles créations sont peu nombreuses : à peine cinq nouveautés qui représentent onze volumes et 5 % du tirage du top 100, et la première qui pointe en 25e place avec le dernier Tardi (Le petit bleu de la côte ouest). On notera également la bonne performance de la série de Blondes, seule nouveauté 2005 dans le top 20 des séries avec un tirage cumulé qui dépasse celui du dernier Spirou.
Par ailleurs, force est de constater qu’en matière de nouvelles créations, on privilégie quand même les vieux singes — et de parier sur la notoriété d’un Tardi ou d’un Arleston.

De manière générale, les recueils de blagues liées à une profession ou une couleur de cheveux ont le vent en poupe : neuf ouvrages dans le top 100 en 2005 contre trois en 2004, pour un tirage cumulé aussi important que celui des nouveautés.
On trouve enfin un certain nombre de «purs produits marketing» en bonne place, également en forte progression (six ouvrages en 2005 contre deux en 2004), avec des grands titres inoubliables dont Bigard (#28) ou Zidane (#35).

Deuxième constatation : elle est où, la mangalisation annoncée ?
Dans le classement individuel par titre, le premier manga (Naruto T.19) se classe 32e. C’est pire si l’on considère pour les séries le tirage moyen par titre : Naruto, toujours meilleur tirage en manga, est alors 41e avec en moyenne un tirage de 95 000 albums par volume.
On notera aussi que les 26 titres manga présents dans le top 100 n’en représentent que 11 % du tirage total (chiffre inchangé par rapport à 2004), et qu’il faut cumuler les 60 meilleurs tirages du secteur du manga pour arriver à un volume équivalent à celui d’un seul Astérix.

Deuxième constatation bis : ils sont où, les gros tirages manga ?
En regardant les tirages moyens par catégorie pour les titres du top 100, on arrive rapidement à la conclusion que les manga sont les plus mal lotis en matière de gros tirages. Les séries bien établies (plus de dix volumes, et en écartant le dernier Astérix pour ne pas déséquilibrer encore la situation) ont des tirages moyens de 118 000 ouvrages ; les «purs produits marketing» tournent à 80 000, les nouveautés sont à 75 000, et les manga sont à la traîne, avec 68 000 ouvrages par titre.
On reconnaîtra néanmoins que les tirages des manga se renforcent, par rapport à la situation que l’on observait sur 2004 : séries bien établies tirées à 202 000 exemplaires, «purs produits marketing» à 95 000, nouveautés à 83 000, et les manga autour de 48 000. Mais pas suffisamment pour pouvoir commencer à parler de gros tirages systématiques.

Troisième constatation : ils sont où, les nominés ?
Toujours dans ce top 100, force est de constater que les nominés d’Angoulême cru 2005 sont peu représentés : sur les 47 albums et séries nominés dans les prix officiels (hors «prix public du meilleur album»), on n’en trouvera que 5 bénéficiant d’un gros tirage — et donc de la confiance de l’éditeur correspondant.
En comparaison, les discrets indépendants (au niveau du tirage) semblent continuer une politique de qualité, avec pas moins de 13 nominations pour Cornélius, L’Association et les autres. De quoi se demander si succès populaire et succès critique sont antagonistes …

2. Le top des plus grosses ventes

A côté de cette vision de l’éditeur, on peut également (à grand’peine) construire une vision des ventes via les chiffres fournis par l’IPSOS sur une base hebdomadaire. Nous avons pu ainsi reconstituer le marché sur la deuxième moitié de l’année 2005, à compter de Juillet.[1]

Les tendances notées ci-dessus se trouvent vérifiées : la part des manga (12 % des ventes, en ligne avec les 11 % des tirages), l’importance des séries longues (57 % des ventes, en ligne avec les 62 % des tirages), les nouvelles créations réduites à la portion congrue (3 % des ventes, contre 5 % des tirages) alors que les «purs produits marketing» (3 % des ventes) et les recueils de blagues (5 % des ventes) se portent bien. Et enfin, même constat pour la présence discrète des nominés à Angoulême …
On notera également que, globalement, les ventes se situent autour de 40 % du tirage — même si l’on remarquera le premier de la classe : Les aventures de Bigard avec 70 % du tirage écoulé, et des ventes approchant les 85 000 exemplaires. Mauvaise note par contre pour le dernier Spirou & Fantasio avec seulement 19 % du tirage écoulé.

Ceci dit, on discerne également deux comportements bien distincts :
D’une part, les «grosses locomotives» franco-belges s’appuient sur une dynamique de collection, la sortie d’un nouvel opus relançant les ventes des premiers. Ainsi, la sortie du nouvel Astérix voit débarquer cinq autres albums de la collection dans le top 50 des meilleures ventes la semaine de sa sortie.
D’autre part, les manga fonctionnent sur une dynamique proche du périodique, avec des ventes concentrées sur les quatre à six semaines suivant la sortie, et atteignant des niveaux très comparables au fil des numéros. On est donc ici en présence d’un public captif et impliqué.
Cela diffère fortement du public des «grosses locomotives», qui se rue sur ces valeurs sûres, en particulier au moment des fêtes (période des cadeaux et d’achats par des non-spécialistes) — un public dont la masse surpasse largement celle des acheteurs de bande dessinée asiatique, ce qui fait qu’on ne trouvera aucun manga dans le top 50 des meilleures ventes pour les deux semaines de fin d’année.

Enfin, on ne peut que constater combien la bande dessinée reste, pour la majeure partie de la production, un marché niche. En effet, sur le second semestre 2005, les dix meilleures ventes (hors Astérix) concentrent 40 % du marché — laissant un bon millier de références se partager le reste du gâteau.

3. Alors, mangalisation, ou pas mangalisation ?

On voit bien ici combien l’analyse basée sur un simple comptage des sorties peut être trompeuse. Alors oui, les manga représentent 42 % des titres sortis en 2005, et ce chiffre en croissance depuis dix ans. Mais on est encore très loin d’une domination avérée.
Sans aucun doute, nous sommes en présence d’une tendance de fond, amorcée depuis plusieurs années (et pas seulement en 2005), qui voit l’émergence d’un nouveau segment plus jeune, avec des formats et des tarifications spécifiques, et avec une offre finalement plus diversifiée que ce que la production franco-belge peut offrir — touchant en particulier un lectorat féminin.

La plupart des éditeurs ont d’ailleurs réagi, en mettant à leur catalogue une collection dédiée aux productions asiatiques. Ceci étant, ils ont également été obligés de mettre en place une véritable démarche éditoriale, afin de pouvoir remplacer les «titres à grande visibilité» que pouvaient être les Dragon Ball et autres séries animées diffusées à la télévision.[2]
Cependant, si le segment du manga est en train de parvenir à maturité sur le marché français, il est à noter qu’il reste très largement à l’ombre des grandes productions franco-belges — 11 % des ventes, à mettre en perspective face à la main-mise des quatre premiers éditeurs (Albert-René, Dupuis, Dargaud et Soleil) qui contrôlent les deux-tiers du marché.[3]
Rappelons que, même en cumulant les ventes par séries, la meilleure vente manga Naruto pointe péniblement en 10e place sur ce second semestre 2005. Il faudra ensuite aller chercher Full Metal Alchemist, 15e, puis Samourai Deeper Kyo, 24e. A titre de comparaison, on notera que le top 20 du box office français pour 2005 ne compte pas moins de 13 films américains. Comme quoi, la domination des manga sur les grosses ventes est un mythe.

D’autre part, cette «mangalisation» semble souvent rimer dans le rapport de Gilles Ratier avec le terme «invasion». Or, il est important de souligner que le développement du marché des manga ne semble pas se faire au détriment de celui de la bande dessinée franco-belge, mais à côté de ce dernier. Les chiffres montrent en effet que le nombre de publications des «indépendants» a doublé depuis 2000 et que les sorties des «gros éditeurs» ont augmenté de plus de 60 %. C’est donc la production globale de bandes dessinées qui a augmenté, même s’il est vrai que cette augmentation est plus forte pour les bande dessinées asiatiques.

4. Mangalisation, ou le retour du péril jaune

Difficile de continuer à prendre ce terme au sérieux lorsque l’on aborde les dernières pages du rapport de Gilles Ratier. Au fil des petites piques et des remarques à l’emporte-pièce, se dessine une «manga-phobie» sous-jacente dont on pensait avoir été débarrassés depuis quelques années — après tout, en Janvier 1997, Jessie Bi évoquait déjà ici L’Importance des Images Dérisoires en réponse à un article paru dans Le Monde Diplomatique de Décembre 1996. Et pourtant.

On commence relativement innocemment avec la «Mangalisation des métiers de la BD», où nous est assénée l’information (curieusement dépourvue de chiffre à l’appui) comme quoi les auteurs sont «de plus en plus nombreux à s’inspirer des codes graphiques et narratifs des manga». Avec, comme exemple, les grands yeux (sic), le dessin stylisé (re-sic) et le fait de ne s’interdire aucun sujet …
On pensait avoir depuis longtemps enlevé les œillères, et que cette vision xénophobe («peur de l’étranger») était désormais caduque et dépassée — et pourtant, début 2006, Gilles Ratier nous ressert la rengaine de l’inquiétude d’un «style universel», allant même jusqu’à évoquer une «invasion».

Par ailleurs, l’ensemble des auteurs (et en particulier les indépendants) peut sans doute remercier chaleureusement les manga pour cette liberté d’expression qu’ils se voient enfin accorder — «ne s’interdire aucun sujet».[4]
En Juin 2000, Appolo écrivait dans ces pages : «La bande dessinée n’est pas un objet gentil. La bande dessinée dit des choses sur nous, sur notre monde, comme tous les arts narratifs. La bande dessinée fait partie de la culture, participe de l’intelligence, du génie humain au même titre que la Littérature ou que le cinéma et le théâtre.»
Comme quoi, on ne parlera jamais assez de «l’autre bande dessinée» — toujours aussi méconnue des hautes instances critiques de la bande dessinée, ce qui est assez inquiétant.[5]

On va toucher le fond lorsqu’il évoque «les très protectionnistes Etats-Unis (qui) réussissent à imposer leurs comics de super-héros». Tout dans cette phrase relève du jugement à l’emporte-pièce, accompagné d’un qualificatif négatif qui ne saurait s’appliquer ici.[6]
D’une part, pour ce qui est des productions américaines, seules les adaptations de Star Wars chez Delcourt figurent dans le top 100 des ventes pour le second semestre 2005 — pas franchement une réussite.
D’autre part, à un niveau plus global, c’est négliger complètement la situation outre-Atlantique, où l’arrivée des manga est en train de redynamiser un marché américain exsangue.

La litanie continue lorsque l’on aborde la «mangalisation de la culture BD». On le comprend à sa première phrase, Gilles Ratier était inquiet — inquiet que la respectabilité du 9e art ne soit atteinte par l’arrivée des manga, «genre si décrié pour sa violence et ses scénarios infantiles». Mais non, surprise et coup de chance pour la bande dessinée, le genre manga «a su toucher un public réfractaire à la lecture» (sic) et est devenu «très tendance» (re-sic). Merci pour l’enfilade de poncifs.
On retrouve cette angoisse sur la page suivante, où l’on apprend qu’à côté du manga dont «tous les relais d’opinion se sont entichés»,[7] on assiste à une stabilisation du nombre de «véritables magazines de BD». Parce que, monsieur, le manga, ce n’est pas de la bande dessinée, voyez-vous.

On pourrait penser à une tournure malheureuse, à une maladresse du rédacteur pressé de fournir un rapport déjà bien long. Ce serait sans compter la conclusion sentencieuse, en guise d’apothéose, qui cherche encore à enfoncer le clou : «espérons que s’y formeront des lecteurs avec assez d’ouverture d’esprit pour s’intéresser autant aux manga qu’aux autres formes de littératures, graphiques ou non».
On l’aura bien compris, pour Gilles Ratier, non seulement le manga, ce n’est pas de la bande dessinée, mais en plus c’est destiné aux analphabètes bas du front.

5. Et les médias, dans tout ça ?

Pour ce qui est de la partie consacrée aux médias et plus généralement au traitement de la bande dessinée par les journalistes, le discours joue la carte de la langue de bois et de l’auto-congratulation. Après tout, on peut difficilement être le porte-parole des journalistes et critiquer leur activité.
Et d’indiquer que «la télévision reste le seul média qui a encore du mal à admettre la BD comme culture respectable», tout en sous-entendant (entre les lignes) que la bande dessinée est respectable, la preuve, c’est qu’on en fait des films.

En fait, 2005 marque surtout la première année où, pour la première fois, les médias commencent à se pencher sur le contenu des bandes dessinées. Ainsi, on aura vu émettre des réserves quant à la qualité du dernier Astérix, petites fausses notes dans la grande célébration d’un succès économique par ailleurs annoncé. Comme l’écrivait Daniel Schneidermann, dans Libération daté du 21 Octobre 2005 : «Mettons les pieds dans le chaudron, et révélons ici une vérité occultée par les médias dominants : le dernier album d’Astérix, hélas, est mauvais.» Une première.

Mais Gilles Ratier préfère se tourner à nouveau vers les chiffres, afin de dépeindre un panorama journalistique des plus encourageants — tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Et de nous faire miroiter le nombre positivement formidable de revues toujours en activité. Oui, mais.
24 revues spécialisées BD présentes dans le réseau presse — dont 16 destinées à la jeunesse, Journal de Mickey et Tchô ! en tête, et à l’autre bout du spectre L’Echo des Savanes, Bédé Adult’ ou encore Bédé X SM ; ce qui laisse, pour le lectorat adulte qui lit avec les deux mains, Lanfeust Mag, Fluide Glacial, Psikopat et Ferraille. Pas de quoi pavoiser.
On passera également sur les 14 magazines dits «érudits» disponibles en magasins spécialisés — visibilité très limitée, diffusion confidentielle … Encore une fois, quantité (de titres) ne veut pas forcément dire lecteurs en nombre — il faudrait en considérer les chiffres de circulation, malheureusement non disponibles.

Justement, en parlant de chiffres, Gilles Ratier est visiblement fasciné par les «résultats» des plus importants sites web consacrés à la bande dessinée, et aligne les détails de leur fréquentation. Et de conclure qu’il s’agit là de «chiffres qu’envient leurs équivalents sur papier».
C’est ici faire preuve d’une méconnaissance complète du fonctionnement de ces sites. La plupart d’entre eux sont des sites participatifs, où les forums d’échange jouent un rôle prépondérant — forums dont la participation requiert une fréquentation soutenue et répétée, les plus actifs se connectant quotidiennement, voire plusieurs fois par jour.
Une donnée qui serait bien plus pertinente à examiner, c’est le nombre de visiteurs uniques par mois des sites en question. Mais même en estimant un rythme moyen de deux visites par semaine, on voit les chiffres mirifiques de BDParadisio fondre autour de 40 000 visiteurs mensuels, les autres sites tournant autour de 5 000. Peut-être toujours enviable, mais bien moins impressionnant.

Conclusion

Les chiffres ne trompent pas — il faut rester à l’évidence que le marché de la bande dessinée reste un marché de niche où seules les «locomotives» bénéficient d’un véritable succès populaire. On y verra le signe d’un public en déficit d’information, qui limite alors son choix entre les valeurs sûres des séries au long cours d’un côté, et les paillettes marketing de produits dérivés à la qualité plus que douteuse.

En définitive, la «mangalisation» annoncée se réduit principalement à l’aboutissement de l’installation d’un nouveau segment, la bande dessinée asiatique, amorcée il y a plusieurs années et déjà arrivée à maturité au cours de l’année 2004.
Les éditeurs s’y intéressent, le nombre de références disponibles (reflet d’un rythme de production différent) est en augmentation, et pour autant, la domination écrasante des «locomotives» de la production franco-belge n’a pas été ébranlée durant cette année 2005.
Il semblerait donc (au vu des indices à notre disposition : dynamiques de ventes, rares études consommateurs) que le manga touche un lectorat qui ne se reconnaissait pas dans l’offre de la filière franco-belge, et vienne ainsi élargir le public de la bande dessinée, plutôt que de l’envahir.

Dans ce contexte, on pourra regretter que Gilles Ratier ait choisi d’adopter un discours alarmiste aux accents vaguement xénophobes, au point que l’on soit tenté de faire rimer «mangalisation» avec «diabolisation».
Oublions donc ce néologisme barbare (en attendant celui de l’année prochaine), et gardons de 2005 l’image d’une année où, enfin, quelques médias grand public ont négligé les courbes de ventes, et se sont penchés sur la bande dessinée considérée comme objet culturel et non plus comme objet de consommation.
Car de Télérama avec sa couverture consacrée à Joann Sfar à Libération qui titre «Gloire à l’Asso», c’est bien le vivier indépendant qui fait parler de lui …

Notes

  1. Cette vision du marché est constituée à partir de tops limités, ce qui permet néanmoins de se faire une assez bonne idée de son fonctionnement. Par contre, cette vision tronquée présente certaines limites, notamment lorsque nous la comparerons aux tirages, eux donnés pour l’ensemble de l’année calendaire.
    Qui plus est, comme c’est toujours le cas lors d’études de marché, ces chiffres sont le résultat d’extrapolations, et par conséquent des approximations. Nous ne chercherons donc pas à les analyser trop finement, et nous éviterons de mettre des virgules à nos pourcentages.
  2. Une modification profonde des dynamiques de ce segment, que Gilles Ratier ignore complètement, continuant à soutenir que «la plupart des BD japonaises qui arrivent en Europe on souvent fait l’objet d’une adaptation en dessin animé et sont déjà connues et appréciées d’un large public».
    Pour info, en ce début 2006, la série animée de Naruto n’est diffusée que sur Game One, chaîne câblée ; Full Metal Alchemist n’est diffusée nulle part ; et enfin, on ne peut voir Shaman King que sur Jetix, émanation de Disney sur le câble à nouveau. Comme on le constate, la diffusion animée des trois séries manga les plus vendeuses en France est plus que confidentielle, et les raisons de leur succès sont sans doute ailleurs.
  3. Une analyse des ventes en valeur, et non plus en volume, mettrait en lumière une situation encore plus déséquilibrée, un Naruto étant vendu à 5,75€ contre 8,50€ pour un Petit Spirou ou encore 13€ pour un Blacksad.
  4. Commentaire ironique. On n’est jamais trop sûr, il vaut mieux préciser.
  5. Rappelons ici que Gilles Ratier est le secrétaire général de l’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée.
  6. Protectionnisme : Ensemble des barrières tarifaires et non tarifaires mise en place par un Etat pour protéger son économie nationale de la concurrence internationale. Ces mesures limitent alors le jeu de la concurrence et freinent les échanges et la division internationale du travail.
    On voit donc mal en quoi cette notion pourrait s’appliquer à la performance des productions américaines en France, puisqu’il s’agit de «protéger son économie nationale de la concurrence internationale».
  7. Avec des arguments massue, comme «le phénomène manga alimente les pages de tous les magazines, qu’ils soient spécialisés ou non». Mais que fait la police ? Plus sérieusement, où sont les chiffres pour soutenir cette affirmation qui fait frémir ?
Dossier de en janvier 2006