Les fanzineux disparus

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Dans le n°20 de Gorgonzola, les éditions l’Égouttoir s'intéressaient aux "fanzineux disparus", ces auteurs que l’on croisait quasi obligatoirement en se plongeant dans la presse souterraine d’une certaine époque et qui ont disparu de nos radars du jour au lendemain. Trois auteurs ont été choisis, ayant débuté dans les années 70, 80 et 90, pour évoquer cette période de leur vie et leur rapport actuel à la bande dessinée aux fanzines.

Premier de la série : Filipandré, qui participa à de très nombreuses production, de Zinc à Réciproquement en passant par Tam Tam ou Minimum, mais aussi des magazines plus largement diffusés comme B.D., Pilote, Fluide Glacial ou Strip.

Maël Rannou : Tes premiers dessins paraissent dans Zinc, fondé par un pilier de Hara-Kiri, où tu dessineras. À l’époque, où en es-tu face au dessin et comment te retrouves-tu dans ce magazine ?

Filipandré : À l’époque (1973-1974 ?), je suis étudiant à Aix-en-Provence. J’avais envoyé deux planches de bande dessinée à Zinc, la revue d’André Balland, et ils les ont passées aussitôt. Ce fut une belle surprise de les voir publiées ! Je me souviens de la couverture de Poussin.
Avant j’avais fait deux fanzines avec des amis : Monopole 6 et À pieds joints (vendu 1 franc sur le campus de Grenoble). Willem avait repris un dessin d’À pieds joints dans sa revue de presse de Charlie Hebdo. J’ai aussi publié dans Hara-Kiri, des fonds de tiroir de BD Hebdo, quelques planches dans Circus et un dessin dans Pilote !

Maël Rannou : Il paraît important de parler de ton dessin. On utilise beaucoup le terme « minimalisme » aujourd’hui, à tort ou à raison, mais en tous cas tu en es un pionnier. Comment en es-tu venu à assumer et développer un dessin aussi simple dans un moment où l’underground tendait plus vers la surcharge ?

Filipandré : Yves Frémion avait trouvé le terme « paschiadins », les mecs qui dessinaient sans chiader… Au départ je n’ai aucun don pour le dessin mais j’adore la bande dessinée depuis toujours. Ne sachant pas dessiner j’ai fait avec les moyens du bord. J’ai piqué les yeux à Jacovitti et vers 1982 j’ai rajouté une bouche. Au départ c’est la tête à toto !
L’underground, la surcharge, ça n’a jamais été mon truc même si j’ai adoré les dessins de Francis Masse, Robert Crumb, Pierre Guitton… Moi j’ai toujours privilégié le lisible le subitement compréhensible, comme Sempé par exemple, ou Schulz…

Maël Rannou : En 1980, tu publies deux livres chez Artefact : HLM (mais le pinard aussi) et Bédés papales. Plusieurs choses m’y ont frappé. Tout d’abord, la prépondérance de deux sujets : la drogue, sujet assez fréquent, mais aussi les papes, sujet nettement moins usité dans la bande dessinée underground.

Filipandré : Je crois que les papes incarnaient une lutte que je prétendais mener contre le système ( !), l’autorité. Et puis j’ai vécu une période d’évolution : au début un pape était immobile, ne bougeait pas du Vatican. Paul VI a commencé à sortir, à voyager, c’était nouveau ! Et après il y a eu le vrai pape-comédien, show-business, la presse, etc. Ça m’a toujours fait marrer ces histoires de papes.

Maël Rannou : Une autre chose marquante c’est la diversité de la construction. Dans le même recueil tu passes du strip à la page en passant par le dessin gag. Ça me donne envie de savoir quel est ton rapport à la forme bande dessinée…

Filipandré : Franchement, il n’y avait aucune réflexion là-dedans. J’apportais mes dessins, mes strips, mes bandes dessinées, en essayant de faire une maquette avec les gens d’Artefact. J’ai toujours aimé regarder/lire les dessins. Enfant, je me souviens de Jean Effel, de Dubout, du Docteur Gaudeamus.
Pour l’album il y avait aussi Encre Noire d’ailleurs, co-éditeur marseillais qu’il ne faut pas oublier. À l’époque ils s’étaient pris une bombe dans leurs locaux, faisant un mort : un pauvre SDF qui dormait devant la porte !

Maël Rannou : Enfin — surtout ? — il y a un très fort goût pour la déformation du langage. Tu utilises beaucoup de néologismes, de l’écriture phonétique, bien avant le SMS ! On pense à la fois à Schlingo et aux chansonniers, je ne m’étonne pas de voir que tu as consacré un livre à Trenet.

Filipandré : J’ai connu Schlingo à l’époque de BD Hebdo, lui aussi avait fait un album chez Encre Noire/Artefact. C’est un mec inoubliable, fortiche, volontaire, drôle, désabusé…
Trenet, comme le dessin de presse, remonte à l’enfance. À la maison il y avait un 45T de lui avec ce que je croyais être une auréole : c’était son chapeau. Comme j’étais abonné à Cœurs Vaillants, il y avait toujours là dedans beaucoup de « Vie des Saints » illustrées, où les héros avaient des auréoles…
J’ai toujours aimé les chansons de Trenet et je les aime toujours, je les écoute encore avec bonheur. J’ai offert les originaux des planches à la mairie de Narbonne et un jour, s’il y a un Musée Trenet, elles y seront. J’ai eu la chance que mon dessin plaise à Trenet, il m’a fait une préface très aimable, mais où il règle des comptes avec certains dessinateurs…

Maël Rannou : Après tes albums chez Artefact, tu n’en publieras plus durant des années. Par contre, tu participeras activement à Réciproquement, au collectif Hommage à M. Pinpon à l’Asso, sans jamais y entrer plus. As-tu observé tout ces développements par la suite où considérais-tu déjà la bande dessinée derrière toi ?

Filipandré : J’ai aussi participé au fanzine Minimum de Christine Lesueur et j’ai publié Arg ! chez Car rien n’a d’importance. J’ai aussi fait beaucoup de cartes postales. J’ai participé à Pinpon à l’Association car il me l’ont demandé, mais ils ne m’ont rien demandé d’autre alors je n’ai pas continué. Je n’ai jamais été un grand lecteur ou acteur de la bande dessinée des années 90. Le seul truc que je lisais régulièrement c’était Fluide Glacial. Le seul que je connaisse dans le monde de la bande dessinée c’est Frémion. Chez les illustrateurs, je connais et j’admire Petit-Roulet. Je ne considère pas la bande dessinée comme « derrière moi », mais je trouve plus simple et plus rapide de ne m’exprimer qu’en un dessin.

Maël Rannou : Dans les années 90, on te suit encore épisodiquement, dans la « Gazette de Frémion » — un de ceux qui te suis depuis longtemps avec Igwal — dans Strip, puis il y a cet étonnant livre sur Trenet. Mis à part ça où se développe ton travail à l’époque ?

Filipandré : En 1989 Michel Fiszbin, alias Robert Lehaineux, est venu à Annecy comme « chasseur de têtes » pour recruter des gens afin de monter la première télé régionale. La seule personne dont il avait entendu parler à Annecy c’était moi. Il a cherché à me voir m’a embauché à 8 Mont Blanc, où je dessinais en direct chaque semaine. C’est là où j’ai appris à aller vite, à réagir dans l’instant, à chercher le truc drôle. Après j’ai eu l’occasion de travailler dans des télés câblées à Paris, j’ai adoré travailler à la télé.
En même temps je dessinais dans un hebdo local, Le Faucigny, puis pour le bulletin municipal d’Annecy et d’autres supports tous plus où moins régionaux. J’ai aussi publié des dessins dans Marianne et j’ai présenté des trucs au Canard enchaîné, mais en vain.
J’adore réagir à l’actu et intervenir dans les conventions, les colloques, etc. et faire rigoler le public en rebondissant sur ce qui vient d’être dit. Mais je suis nul pour l’actualité « nationale » : la guerre ici ou là, les catastrophes, les drames, ça ne m’inspire guère.

Maël Rannou : Aujourd’hui, tu continues à vivre du dessin. Suis-tu ce qui se fait dans la bande dessinée actuelle ? Et y reviens-tu parfois de temps en temps ?

Filipandré : Question bande dessinée, j’y connais pas grand chose, il y a tellement de nouveautés ! Je fais une fixette grave sur l’œuvre d’Hergé. Je lis tout ce qui se publie à ce sujet, c’est inépuisable, un régal, une grande œuvre. Grâce aux liens avunculaires qui nous unissent, je suis de près la carrière du jeune dessinateur Zéphir[1] ! Mais à part ça9 non, je n’ai pas le courage de suivre la production.
Là je viens de finir une bande dessinée militante d’une planche, sur la « Loi littoral », car des gros malins essaient de bétonner les derniers mètres carrés de pelouse au bord du lac d’Annecy. Ça paraîtra sur le site de la Frapaa (fédération Rhône-Alpes de Protection de la nature). Comme quoi, j’y reviens de temps en temps.

[Entretien réalisé par courriel en juin-juillet 2014. Initialement publié dans le Gorgonzola n° 20 (janvier 2015), publié chez l’Égouttoir.]

Notes

  1. Neveu de Filipandré, Zéphir a publié en début d’année Le Grand Combat (Futuropolis), un ouvrage magnifique en couleur directe. Auparavant, on l’avait notamment croisé dans le Gorgonzola n°15…
Entretien par en février 2018