Thomas Cadène

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Propulsé sur le devant de la scène par les Autres Gens, Thomas Cadène est depuis deux ans incontournable dès qu'il s'agit de parler de bande dessinée numérique. Alors que sa « bédénovella » se dirige tranquillement vers sa fin annoncée, s'offrait l'occasion rêvée de revenir sur cette aventure -- dans un entretien (forcément) fleuve.

Xavier Guilbert : Je pensais qu’on pouvait commencer par le début. Tu as donc une formation de juriste…

Thomas Cadène : Oui, j’ai une maîtrise en droit.

Xavier Guilbert : Comment te retrouves-tu à faire de la bande dessinée ?

Thomas Cadène : Parce que je n’arrive pas à — comment dire ? En fait, j’ai fait mon droit en aimant ça, mais en ne me projetant jamais dans la profession. Enfin, les professions parce qu’il y en a des milliards. Et quand est arrivé le moment — à l’époque, on devait choisir ce qui correspond aujourd’hui au master ou un truc comme ça, le DESS après maîtrise — à ce moment-là, j’ai été un peu démuni. D’une, parce que je n’avais pas un dossier exceptionnel, et de deux, je n’avais pas la moindre idée de ce que je voulais faire. Donc j’ai eu une année un peu bizarre, où après la maîtrise, j’ai rien choisi. Je me suis retrouvé à bosser quelques mois à l’usine chez Perrier, c’était assez particulier, très très instructif. J’étais caleur de camion, une expérience incroyable de l’ennui, j’étais manutentionnaire, je nourrissais les machines, tout ça. Ensuite, je suis beaucoup sorti, et puis j’ai chopé un troisième cycle en marketing, parce que j’avais envie d’être dans des domaines qui, croyais-je naïvement, se rapprochaient de la création.
J’ai fait ça, c’était très intéressant, mais là non plus, j’ai eu beaucoup de mal à me projeter et surtout à rester dans le cadre. Ce moment navrant où j’ai découvert, là où j’étais qu’on valoriserait toujours davantage la discipline à l’initiative. En sortant de ça, je n’étais donc pas beaucoup plus avancé. J’avais appris mais ça ne m’avais pas franchement donné les clefs. Quelques outils précieux pour la suite mais dans l’immédiat, pas grand chose. J’étais à Paris, il fallait bien faire quelque chose, j’ai fait serveur. Une belle expérience, intense, humainement passionnante. Je bossais la nuit à Pigalle, entre les bobos de Montmartre et les macs, les petits rebelles, les perdus de Pigalle, deux caricatures réelles de Paris qui se rencontrent. Après, j’ai été vendeur de livres, souvenirs, CD et conneries diverses à l’Opéra Bastille. C’était intéressant aussi, plein d’ennui mais intéressant. Ça m’a permis un peu de découvrir l’opéra, avant je n’y connaissais rien. Maintenant à peine plus mais j’ai vu, j’ai écouté, je me suis un peu ouvert l’esprit. Et surtout on passait par derrière. J’ai une fascination, dans les endroits publics, pour les portes réservées. J’ai toujours envie de voir. J’aimais ça dans le bar, d’être derrière le bar, de connaître l’escalier au fond de la salle, et j’adorais ça à Bastille, de passer par les entrailles du paquebot c’est extraordinaire.
Bref, à ce moment-là, j’ai décidé que plutôt que d’attendre d’avoir quarante ou cinquante ans et de faire une grosse crise existentielle, puisque je n’arrivais à rien ou à pas grand-chose avec ce qui m’avait beaucoup intéressé mais qui, visiblement, ne m’amenait à rien de concret, comme j’avais un vieux désir de dessin qui traînait par là, j’allais me confronter au déraisonnable tout de suite. Un désir de dessin ET d’histoire, mais les histoires c’était moins avouable, et donc, concentré sur le dessin, j’ai demandé à la seule personne que j’avais, de loin, dans mes contacts qui était dessinateur, pour le cinéma, si il pensait que mon niveau en dessin était correct, et il m’a dit que oui. Très honnêtement, je pense qu’il a eu tort, parce qu’à l’époque, quand je revois ce que je lui montrais… euh, mais bon. Et j’ai eu du bol — comment ça s’est passé déjà ? C’est un pote photographe, je crois, qui m’a filé un contact presse magazine et, contre toute attente, j’ai eu un premier boulot payé en illustration, c’était pas mal.

Après je me suis retrouvé sur le Café Salé, et c’est là surtout que ça a vraiment démarré. A l’époque, c’était encore à taille humaine. Je ne sais pas comment c’est aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est devenu vraiment énorme, très organisé, un peu intimidant. Les contacts étaient très faciles, et … voilà, je ne sais pas par quel miracle ou pour quelle raison j’ai rencontré concrètement des gens là-bas, des gens qui aujourd’hui sont, ou, ont été, très importants, dans ma vie et dans ce que je suis devenu. Par exemple The Black Frog ou Bandini, Adrien Villesange ou Gilles Aris qui a signé le premier scénario sur lequel j’ai bossé pour Casterman. Et c’est un projet que j’ai développé là-bas, par hasard — je dis par hasard parce que je l’ai commencé comme une illustration, et puis c’est devenu une sorte de bande dessinée muette, que j’ai soumise à divers éditeurs qui m’ont tous envoyé chi*r, sauf Paquet, qui m’a dit qu’il lançait Discover, que le projet lui-même ne lui plaisait pas, parce que c’était silencieux, mais que le ton lui plaisait, et donc il m’a envoyé Sébastien Vassant qui s’est occupé de Discover. On a eu un très bon contact, je lui ai proposé A travers moi et il m’a fait confiance. C’est lui qui a fait de moi un auteur de bande dessinée. Finalement (je crois que c’était en 2006), j’ai signé mes deux premières bandes dessinées à un mois d’intervalle. Ce qui fait que j’ai quasiment pu en vivre, pratiquement, dès que j’ai commencé à faire de la bande dessinée. C’est très bizarre, comme truc : j’arrivais de nulle part, je n’avais jamais envisagé d’en faire six mois avant puisque j’étais plutôt parti péniblement sur l’illustration et ça commençait à démarrer. Et soudain, je me suis retrouvé à faire de la bande dessinée et ça a été une révélation à pas mal de niveaux parce que j’ai adoré ça.
J’ai appris beaucoup avec tout le processus que j’avais eu sur la bande dessinée silencieuse que j’avais fait sur le Café Salé, ça a été un petit peu mon apprentissage de la narration, j’avais trouvé ça passionnant, et ensuite sur les deux projets signés — d’un côté, ma propre histoire, et d’un autre côté celle de Gilles, je me suis régalé à les faire en même temps, l’une me sortait de l’autre, j’apprenais, c’était terriblement formateur et passionnant. Bref, je me suis régalé tout de suite. Là, j’avais trouvé, je pense pour la première fois, un univers et un mode d’expression qui collaient parfaitement et qui répondaient à des attentes que je ne soupçonnais peut-être pas, mais en tout cas, j’étais bien.

Les deux albums sont sortis en même temps. J’ai eu du bol parce que j’ai pu signer directement derrière un autre chez Casterman avec Didier Borg, pour KSTR. La bande dessinée que j’ai fait chez Paquet est passée inaperçue mais a eu un très bon retour critique ce qui était très encourageant. Et puis après, j’ai fait les deux suivantes chez KSTR, et ensuite la quatrième m’a été refusée, partout. Et donc j’ai fait les Autres Gens.

Xavier Guilbert : Dans cette première phase, comment as-tu vécu tes relations avec les éditeurs, dans l’aspect éditorial. Sinon, c’est marquant que tu commences d’emblée dans un format «roman graphique». Quelle était la culture de bande dessinée que tu avais alors ?

Thomas Cadène : J’avais une sorte d’amateur éclairé, mais pas plus. C’est-à-dire que j’ai biberonné à la bande dessinée la plus banale, pas mauvaise mais banale, classique, de Tintin à Spirou en passant par Gaston ou Alix. J’ai toujours été un très gros lecteur, mais beaucoup plus de romans que de bande dessinée. Et je n’ai jamais eu de rapport complexé à la bande dessinée, cela n’a jamais été, dans mon esprit ou dans celui de mes parents, un sous-genre ou quoi que ce soit de dévalorisant, j’ai toujours eu un rapport naturel à la bande dessinée. Mais en même temps, je n’étais pas dans un milieu particulièrement amateur. Donc j’ai lu Tintin, j’ai lu Astérix, j’ai lu Johan et Pirlouit et les Schtroumpfs et tous ces trucs-là, et j’ai adoré. Ensuite, j’ai lu du Bilal, j’ai lu… ensuite, le souvenir que j’ai d’un rapport un peu plus ouvert à la bande dessinée, c’est un souvenir de — je ne sais pas pour quelle raison, quand je partais en vacances avec mes parents, en hiver, mon père achetait des recueils Spirou. Mais pas dans l’année, ou en tout cas je ne me souviens pas, ce qui était très bizarre. En même temps, on ne devait pas le lui demander le reste du temps. Du coup, je me retrouvais avec des trucs où il y avait des histoires qui se terminaient et puis d’autres qui ne se terminaient pas — je ne sais plus comment ils sont foutus. Et donc, c’était vachement plus ouvert. Mais très honnêtement, je ne lui demandais pas de m’abonner ensuite. Je les lisais comme je lisais les paquets de céréales, je lisais tout, absolument tout. La bande dessinée aussi. Mais, jeune, j’étais plus marqué par les romans que par les bandes dessinées… Je crois.
Sinon, je me souviens aussi d’exemplaires du magazine (à suivre) que mon père avait et qui m’ont marqués, probablement parce que c’était plus adulte. Mais là aussi, ce sont des choses qui me sont restées, qui m’interpelaient d’une manière ou d’une autre, mais qui ne m’ont jamais — je ne vais pas m’inventer une légende de passionné — amené à aller fouiller chez les libraires spécialisés. Donc je suis passé un peu à côté de pas mal de choses, tout en sachant que cela existait. C’est ça qui est étrange : à les lire j’aimais beaucoup ça, quand j’allais chez des gens qui avaient des bibliothèques de bande dessinée, quand c’était avec mes parents et que j’étais petit, je me mettais dans un coin et je lisais tout ce qui me tombait sous la main, mais ça n’allait pas beaucoup plus loin.

C’est venu en fait un peu plus tard avec un ami qui suit maintenant ce que je fais et qui est, lui, un vrai passionné de bande dessinée, et qui m’a fait découvrir — je crois que ça a été mon premier choc de bande dessinée post-franco-belge classique enfant et adulte, je veux dire des Schtroumpfs à Bilal — il m’a passé Akira. Et ça a été un choc absolu. Là, ça a été incroyable. En même temps, là non plus je ne me suis pas retrouvé à lire du manga. J’en suis resté là, mais par contre j’ai eu une révélation, j’ai dévoré les quatorze, c’était la collection en quatorze tomes, et… je découvrais surtout qu’il n’y avait pas que la bande dessinée européenne. Par contre, je suis passé complètement à côté des comics, je n’y connais rien. Et tous ces trucs-là, je les découvre, je les redécouvre maintenant. Lui m’a refilé pas mal de lectures assez variées, et là je commençais à m’y mettre de manière un peu plus intéressée. Mais à l’époque, concrètement, j’étais essentiellement un lecteur de romans. Là, je dévorais. Et j’étais aussi un gros gros consommateur de cinéma. Mon univers était là, roman et cinéma, une égale passion pour deux manières de raconter.
D’une manière générale, j’ai toujours aimé la fiction, le récit. Par exemple je me mets seulement depuis quelques temps à apprécier les essais, les documentaires. Le réel m’ennuyait quand il n’avait d’autre sujet que lui-même, ce n’est plus le cas. J’ai grandi un peu. Donc j’étais dans la seule fiction et la forme importait peu, mais c’est vrai que — par exemple, je n’ai pas fait de fanzine, je ne me suis pas construit une histoire de la bande dessinée personnelle avant d’en faire, très curieusement. C’est horrible, en disant ça, j’ai l’impression d’être — encore une fois, je fais ressortir mon gros complexe de légitimité. (rire) C’est affreux.

Xavier Guilbert : Et ton premier choc d’auteur ?

Thomas Cadène : C’est Franquin. Parce que Gaston est la première bande dessinée qui me faisait rire à haute voix. Et là j’ai compris aussi — je me souviens, c’est la première fois où je me faisais la réflexion de la construction. Par exemple, le gag que je cite toujours, c’est le gag de boule de bowling sur l’armoire. Il joue avec un ballon, le ballon va sur l’armoire, la boule de bowling va tomber et Gaston fait une tête, et voilà. Je pense que le strip doit faire trois cases ou quatre — c’est juste la perfection. Il ne manque rien, tout y est, il y a une dynamique incroyable. En plus du dessin, qui est parfait. Et il y avait aussi le Dictateur et le Champignon qui est pour moi une merveille. Notamment la scène où Spirou et Fantasio sont obligés de donner le change en tant que généraux de l’armée, qui est une scène que je trouve à mourir de rire. Et dans ces lectures-là, effectivement — je commençais quand même à être vieux. Je les avais sans doute lus étant enfant, mais j’ai réalisé ça sans doute à peu près en même temps que j’ai découvert Akira. J’ai commencé à avoir un regard un peu plus — un peu plus «intelligent» sur ce que je lisais. C’est vrai que j’ai eu un gros choc sur Franquin, parce que c’était intelligent, parce que le dessin était exceptionnel — pour toutes les raisons qui font que tout le monde ou presque … il y a une unanimité qui me semble légitime. Il s’impose.
En fait, en y réfléchissant et puisque c’est d’actualité, il y avait évidemment aussi et là, de manière beaucoup plus bizarre, Moebius. Parce qu’il a un côté très idéal de lecture d’ado. Les trucs qui font rêver, les femmes somptueuses, les univers un peu particuliers, le héros un peu loser et en même temps à qui il arrive des choses incroyables… Donc ce n’est pas forcément pour les bonnes raisons. J’ai découvert le Major Fatal — c’est Bandini, le dessinateur, qui me l’a fait découvrir il y a deux-trois ans. J’avais jamais lu avant — de Moebius, en fait, j’avais lu L’incal. Et puis à cette même période, je découvrais…

Xavier Guilbert : Tu n’avais pas lu Le bandard fou, La citadelle aveugle

Thomas Cadène : Non non non.

Xavier Guilbert : Tu parles de trucs adolescents, Le bandard fou, on est en plein dedans.

Thomas Cadène : Oui, mais ça il faut y être, il faut être amené à ça. Si on n’a pas la curiosité que je n’avais pas avec la bande dessinée, si on ne va pas fureter ou demander à son libraire ou je ne sais quoi. Si on n’a pas un pote qui a ça ou un cousin plus vieux ou un grand frère qui transmet ça — ben moi je suis passé à côté. Mais par contre, ce que je disais — L’incal, c’est un classique. Toute personne qui a plus de trois bandes dessinées dans sa bibliothèque a L’incal. Donc L’incal, je l’avais lu, parce que — chez des gens je l’avais lu. Voilà. Et j’adorais ça. Mais ça n’avait pas provoqué en moi ce «il faut absolument que je découvre tout de cet auteur». C’était… je me souviens de la lecture, je me souviens des images — donc ça m’a marqué, c’est quelque chose qui m’a durablement marqué. Mais je ne sais pas pour quelle raison, sur un roman, je lisais un roman que je trouvais par hasard en poche d’un auteur, il fallait que je lise tous les autres trucs que l’auteur. Sur la bande dessinée, ça ne m’a jamais fait ça. J’avais mes cinéastes, j’avais mes romanciers, je n’ai jamais vraiment eu mes auteurs de bande dessinée. Aujourd’hui probablement parce que j’y nage, à l’époque pour une raison que j’ignore.

Xavier Guilbert : C’est marrant, parce que tous les exemples que tu donnes en dehors d’Akira sont des albums qui sont dans un format «classique». Alors que tu te retrouves à faire chez Paquet ou chez Casterman des choses qui sont dans un format avec une pagination différente, des dimensions différentes, et en terme de narration, forcément quelque chose de différent.

Thomas Cadène : Oui mais alors là, je pense que la raison elle est précisément dans le fait que mon univers était plus cinématographique ou romanesque que bande dessinée. C’est-à-dire que ce que j’ai aimé — je n’ai pas fait du roman ou du cinéma par défaut dans la bande dessinée. Même aujourd’hui où je ne fais plus que du scénario c’est quelque chose qui me fascine encore, j’ai adoré le concept du dessin qui va raconter, qui va porter un récit, la manière dont on découpe, la manière dont on tient le rythme, etc. Donc cette narration-là qui est vraiment spécifique et qui n’est pas du cinéma, et qui n’est pas du roman, ça, je l’ai découvert et j’ai adoré ça. En revanche, mon univers de récit il était sur des formats qui étaient moins — qui étaient plus longs, plus denses, et peut-être aussi moins construits. Parce que mine de rien, l’album de 48 pages, c’est quasiment de la construction de type série télévisée, quoi — c’est hyper calibré. Et ça, c’est quelque chose qu’il faut savoir faire. D’où l’avantage sans doute, je ne sais pas, des auteurs qui ont commencé enfant par copier les bandes dessinées, comme on ouvre une grenouille, qui ont intégré ça de manière naturelle. Je ne savais pas le faire. Aujourd’hui, j’ai plus de pratique, j’ai beaucoup appris, ça ne me fait plus peur.

Xavier Guilbert : En même temps, tu commences relativement tard la bande dessinée.

Thomas Cadène : Ah oui. Très vieux, même. Mon premier album sort en 2007, donc j’ai 31 ans.

Xavier Guilbert : Donc tu arrives, tu n’es pas formaté non plus, tu as été exposé à d’autres choses qui sont peut-être plus satisfaisantes en terme d’espace pour la narration.

Thomas Cadène : Ce que je disais, c’est que ces formats-là me permettaient de faire — comment dire ? J’avais une exigence de liberté qui répondait à «une incompétence». Dans le sens que cela répondait à mon incompétence de certains formats beaucoup plus construits. Aujourd’hui, je pense que je saurais plus le faire. Mais à l’époque, j’aurais été bien incapable de construire une bande dessinée en 48 pages. Alors que le format roman graphique, les pages sont un peu plus réduites, au niveau du rythme, de plein de choses au niveau du récit de manière … par exemple, mon premier scénario, A travers moi, il n’est pas écrit en détail, il est écrit en séquences. Le fait de fonctionner en chapitres, c’est quelque chose qui est possible complètement sur ce genre de truc. Cela n’aurait pas été possible sur 48 pages, c’est trop dense, c’est trop réduit. Il faudrait beaucoup plus construire, au moins à la page. Pareil pour les effets de tension, on n’est pas du tout dans les mêmes mécanismes.
Et puis, c’est aussi lié aux circonstances. On m’a proposé un scénario qui correspondait au format KSTR, et par la bande dessinée que j’ai proposé à Vassant pour Paquet on m’a guidé vers un format qui était autour de la centaine de pages. Ce n’est pas moi qui ai choisi, ce sont plutôt les circonstances qui ont choisi pour moi et probablement que d’une certaine manière ça a fonctionné parce que c’est ce qui me correspondait le mieux.

Xavier Guilbert : Ensuite, c’est, je crois, avec Sextape, que tu deviens bloggeur sur Rue89.

Thomas Cadène : Oui.

Xavier Guilbert : C’était important ?

Thomas Cadène : J’ai fait ça parce que — là aussi, je pense que c’est mon complexe de légitimité. Il y avait deux choses : un truc sur lequel je ne me faisais pas d’illusions, mais bon, il faut être honnête, le côté «je travaille ma notoriété». En même temps, je suis né sur Internet d’une certaine façon, j’ai vu, j’ai suffisamment vu les autres, je me suis vu moi-même, je savais que ce type de blog, sans dessin, sans rien de très attractif n’allait pas faire de moi un auteur phare de la blogosphère. Donc je ne me faisais pas d’illusions, mais j’avais un gros désir de parler de bande dessinée sur un média qui à l’époque, n’en parlait quasiment pas, et ça a toujours été un truc qui m’a fait bondir dans les médias généralistes.
Ça répond à tout ce que j’expliquais avant : j’arrive à la bande dessinée tout-à-fait par hasard, je connais la bande dessinée par ce qu’on m’en a présenté, ni plus ni moins, et tout d’un coup je réalise que si je suis passé à côté de tant de choses, c’est peut-être aussi parce le cinéma que j’ai adoré, les romans que j’ai adorés, ils sont partout dans la presse, dans le contexte médiatique dans lequel on est, le contexte culturel. La bande dessinée, jusqu’à très récemment, elle était quasiment nulle part. Elle avait été avant plus présente sans doute, avec des magazines, mais là j’étais trop jeune ou pas dans le truc. Mais toute la période où j’ai commencé à m’y intéresser, finalement, la bande dessinée, elle était en marge — qu’elle soit grand public ou pas, ce n’est pas la question, elle était en marge. Et c’était très révélateur de voir qu’un média qui arrivait sur Internet comme Rue89, sur Internet qui a été un espace d’expression qui a été adopté immédiatement par la bande dessinée, ne traitait quasiment jamais de bande dessinée. Comme, finalement, tous les autres médias traditionnels. Donc voilà, je leur ai proposé le truc.
Et ça a vite dévié. Au départ, c’est faire cette sorte de journal de l’album — alors pas du tout à la manière de Dupuy et Berberian, je ne voulais pas dessiner, je voulais écrire, expliquer. Et finalement, très vite, j’ai arrêté de parler de l’album et je me suis mis à parler d’autres choses, qui évidemment étaient en lien, plus ou moins, avec la bande dessinée. Ça s’est arrêté à la fin de l’album, naturellement. Et puis maintenant, ils en parlent, de bande dessinée, c’est très bien, et je n’y suis pour rien : après moi, c’était revenu au statu quo ante.

Entretien par en juin 2012