Pauline Martin
Novembre 2004. Au moment de terminer ma lecture de l’album Leonora de David B et Pauline Martin, je ne peux m’empêcher de me lancer à nouveau dans celle des premiers ouvrages de la jeune dessinatrice. Il m’apparaît alors comme une évidence que La Boîte, son premier récit autobiographique, doit beaucoup à la force dramatique du Daddy’s Girl de Debbie Drechsler. Pauline Martin me confirmera l’influence de l’auteur américaine. Celle-ci lui a fait découvrir que l’on pouvait « raconter des histoires « dures » et intimes en bande dessinée ». De fil en aiguille, notre dialogue se poursuit pour aboutir à un premier entretien publié en octobre 2005.
A l’occasion de la sortie de Ce que je sais de ma Maman chez Albin Michel Jeunesse il y a quelques mois, une nouvelle série de questions vient compléter la première.
Nicolas Verstappen : Vous abandonnez des études de Médecine pour suivre celles des Arts Appliqués. Etait-ce déjà avec l’idée de faire de la Bande Dessinée ou étiez-vous intéressée par le graphisme et le dessin en général ?
Pauline Martin : Non en fait quand j’ai abandonné la médecine et même au lycée je ne dessinais plus du tout (je dis plus du tout parce que je dessinais beaucoup quand j’étais petite). Le monde du graphisme et le la bande dessinée m’étaient totalement étrangers (à part Agrippine et Reiser). Quand je pense que j’étais au lycée à deux rues de la librairie «un regard moderne» sans en connaître l’existence j’ai un peu honte, mais c’est ainsi. À l’époque je faisais du modelage d’après modèle vivant et c’est ça qui m’a décidé à faire une école d’art appliqué. Enfin j’ai d’abord fait une classe de «prépa artistique» avant de rentrer dans mon école de graphisme. Et quand je suis rentrée dans cette école, je voulais faire du «dessin de presse» ou de l’illustration.
NV : Qu’est-ce qui vous a orienté vers la Bande Dessinée ? Votre rencontre avec Killoffer, Dupuy et Berberian ?
PM : Ce qui m’a orienté vers la bande dessinée, ce sont les encouragements d’un de mes prof, Toffe, qui est artiste-graphiste. C’était notre prof de «dessin expérimental». Son cours était vraiment intéressant même si je ne comprenais pas tout, parce que c’était très dense et très conceptuel. C’est grâce à lui que mes premiers strips on été publié dans le journal STRIPS dont le directeur artistique était Placid. En fait il m’a fait découvrir le dessin «underground» avec Gary Panter et Jimbo entre autres. En découvrant ces dessinateurs, ça a été pour moi comme une «autorisation» de dessiner. Je me suis dit que la bande dessinée supportait tous les styles de dessin et donc que c’était possible, et puis j’avais envie de dire des choses, de raconter, je ne sais pas quoi mais l’envie était là. La rencontre avec Dupuy, Berberian et Killoffer l’année suivante m’a permis de continuer à travailler tout ça.
NV : Je n’ai pas réussi à me procurer les revues Strips auxquelles vous avez participé en 1996 et qui contiennent vos premières planches. Quel type de récit y avez-vous abordé ? L’autobiographie ? La fiction ?
PM : Ah ah, mes premiers strips c’est quelque chose ! En fait c’était une série de strips donc, qui finissaient tous par les mots «dans le noir» et on voyait un petit personnage dans une case entièrement noire faire différentes choses comme : «anniversaire dans le noir», «recousage de soi dans le noir», «faire un mécano avec des ailes de poulet dans le noir»… c’est un truc assez bizarre en fait, il n’y a pas de récit c’est juste une accumulation d’action «dans le noir» y’en a un quarantaine comme ça.
NV : En 1999, vous dessinez un récit pour le Comix 2000 ainsi que La Boîte (en toute fin d’année). Comment s’est déroulé votre contact avec l’Association et Ego Comme X ?
PM : Pour le Comix 2000, j’ai envoyé mes planches à l’Asso et ils m’ont dit ok. Pour La Boîte, je leur ai proposé, ça les intéressait un peu mais ils voulaient que je refasse des planches, que je transforme le récit. Je m’en sentais incapable, je n’avais pas du tout envie de me replonger dans cette histoire et de la transformer. Je ne pouvais qu’en rester à cette forme assez « brute» et spontanée. Puis des rencontres que j’ai faites m’ont permis d’entrer en contact avec Loïc Néhou qui a tout de suite voulu publier La Boîte tel quel, il a juste fallu que je refasse le lettrage pour que ça soit un peu plus lisible.
NV : À la fin de Leonora, on peut lire que vous avez pris conscience «des limites de la fiction narcissique». La Boîte est une «autofiction» plus qu’une autobiographie ? Comment vous êtes-vous placée face à la fidélité des faits ?
PM : En fait La Boîte est vraiment une autobiographie, il y a juste quelques détails que je n’ai pas mis. Mais quand je l’ai dessinée, j’essayais de me souvenir le plus exactement possible de ce qui c’était passé, de ce que j’avais ressenti ou rêvé pour le mettre en bande dessinée. Tout ça c’est fait de manière très instinctive. Le terme de «fiction narcissique» m’énerve un peu parce qu’il est méprisant pour ce «genre». C’est vrai qu’avant de faire Leonora, je n’étais plus satisfaite de mes bandes dessinées en cours, je me «saoulais» moi-même avec ces histoires, les mêmes cadrages, les même situations, je voulais passer à autre chose, dessiner d’autre choses. C’est dans ce sens là que je me sentais limitée.
NV : La Boîte est réalisé en noir et blanc, La Meilleure du Monde introduit la bichromie et Leonora un jeu avec deux verts différents. Comment envisagez-vous ce rapport à l’évolution de la couleur dans vos albums ?
PM : En fait Leonora c’est aussi de la bichromie, c’est juste qu’il y a plus de nuances. Pour l’instant la bichro ça me convient, j’ai essayé sur Leonora de mettre quelques pages en couleurs quadri, mais ça ne me plaisait pas. Je travaille actuellement [en 2005] sur un projet de bande dessinée pour enfant et là je supprime tous les «petits traits», à ce moment là, la mise en couleur quadri passe mieux, mais il faut que je la travaille beaucoup pour que ça soit joli. Enfin je veux dire que le travail de la couleur me prend beaucoup de temps et me fait un peu peur aussi. La couleur pour moi c’est encore un chantier à venir, mais un énorme chantier ! Alors je prends mon temps.
NV : Votre travail sur la couleur est déjà très réussi dans le Beaux Arts Magazine hors-série.[1] Vous avez profité de ces deux planches comme d’une sorte de terrain d’expérimentation ?
PM : Oui en fait j’ai essayé de faire en bande dessinée ce que je faisais déjà pour des images uniques (qui sont sur le site d’ego comme x dans la galerie[2] ). Mais c’est très long, il faudrait que je trouve une autre méthode qui rende à peu près la même chose, ou que je pratique plus.
NV : Dans un entretien avec Didier Pasamonik, vous signalez que vous aviez envie de «désapprendre à dessiner pour créer un style plus carré» (au travers de Leonora). Plus «carré» dans quel sens ?
PM : À vrai dire je ne me souviens absolument pas avoir dit ça, par contre je reconnais que j’avais envie de progresser en dessin, parce que je me sentais limitée, et encore maintenant d’ailleurs.
NV : Comment s’est mise en place votre collaboration avec David B. ? Est-elle le fruit d’une longue complicité, d’une rencontre inattendue ?
PM : Je connaissais David depuis quelques temps, mais sans être très intime avec lui. Un soir à un festival d’Angoulême je lui ai demandé de m’écrire une histoire. Il m’a demandé quel genre d’histoire j’aimerais et je lui ai dit que je voulais faire un truc à l’opposé de ce que j’avais fait avant, j’avais envie de dessiner une aventure avec des bagarres et tout et tout. On s’est dit que le Moyen-Âge irait bien avec mon style et c’est comme ça que la graine a été plantée. Ensuite ça a mis pas mal de temps à se mettre en place mais quand j’ai eu les premières pages du scénario j’ai trouvé ça génial. Ensuite j’ai beaucoup travaillé, j’ai fait et refait les premières planches pas mal de fois, j’ai appris beaucoup de chose en travaillant avec David.
Il est à la fois très exigeant et très généreux.
NV : Depuis notre premier entretien, il y a trois ans, vous vous êtes faite discrète dans le «petit» monde de la bande dessinée. Quelles sont les raisons de cette (trop) longue absence ?
PM : J’ai eu une petite fille.
NV : Le projet d’un second tome de Leonora est-il toujours d’actualité ?
PM : Non pas de tome 2 de Leonora en vue, mais une bande dessinée pour enfant chez Albin Michel jeunesse avec Astrid Desbordes au scénario, qui devrait sortir en Octobre 2008.
NV : En mars 2005, vous m’écriviez «je travaille actuellement sur un projet de BD pour enfant et là je supprime tous les petits traits». Ce que je sais de ma maman est-il l’aboutissement de ce projet de bande dessinée jeunesse qui a pris la forme d’un livre pour enfant ?
PM : Le projet dont je vous ai parlé à l’époque n’a jamais abouti sous forme de livre, mais les moyens que j’ai mis en œuvres pour créer un style plus «jeunesse» en couleur m’ont effectivement permis d’aboutir (dans la forme) à Ce que je sais de ma maman.
NV : Vous semblez donc vous orienter vers des récits destinés à la jeunesse. Qu’est-ce qui vous attire dans ce type de travail ?
PM : Ce qui m’attire c’est de réussir à faire des livres où je me retrouve, dont je suis contente, en ce moment ça prend la forme de livres «pour enfants» même si je pense qu’ils sont aussi tout public.
NV : Ce que je sais de ma maman se présente comme un hommage à votre mère. A-t-il été difficile pour vous de trouver les mots et les images qui le rendent si touchant ?
PM : Ce qui a été difficile, ce sont les circonstances. J’ai écrit ce livre peu après la mort de ma mère. Les mots sont venus tous seuls, je n’avais qu’à penser à elle.
J’avais fait un dessin de ma mère et moi il y a quelques années.
Un ami m’a écrit un petit mot dans lequel il me disait qu’il ne connaissait ma mère que par ce dessin. Cela m’a inspiré, je me suis dit que j’allais faire un livre entier de dessins sur ma mère, pour que tout le monde la connaisse et sache comme elle était extraordinaire.
NV : Le choix de pas représenter le visage de votre mère tient-il d’une volonté de pudeur ou de laisser au lecteur le soin d’imaginer la beauté de ses traits ?
PM : Au début je n’avais dessiné que deux images pour proposer le livre à l’éditeur, et sur ces images je n’avais pas dessiné le visage. Ensuite, c’est avec mon éditrice qu’on a décidé de continuer comme ça, pour qu’elle puisse être «toutes» les mamans.
NV : Je n’ai pu m’empêcher de rapprocher la couverture de La Boîte et celle de Ce que je sais de ma maman. Elles se font écho. Pauline est face à un ensemble de souvenirs qui sont enfermés dans « La Boîte » et clairement présentés dans Ce que je sais de ma maman. Elles sont à l’image de votre parcours artistique et probablement de votre propre équilibre. Partagez-vous ce sentiment ?
PM : C’est vrai que ces deux couvertures se rapprochent, et c’est vrai aussi que ce sont deux livres qui m’ont aidé à faire un deuil.
NV : Il y a une forme d’équilibre visuel que je trouve remarquablement installé dans Ce que je sais de ma maman. Il est basé sur une rythmique formée par la répétition de quelques éléments comme les chaussures à talons (aux pieds de Pauline, de sa maman, du sapin), le masque africain, une ceinture, les feuilles mortes d’un arbuste (etc..). Il tent à former un espace qui, en moins de vingt illustrations, nous devient entièrement familier. Ce travail sur l’espace et le rythme fut-il au centre de vos attentions ?
PM : Ce que je voulais, c’était faire des images très simples et aller à l’essentiel. Pour le décors j’ai cherché dans mes souvenirs. Les feuilles de ficus qui tombent toujours et qu’on ne ramasse pas vraiment, les masques africains et les chaussures à talons, ce sont des traces de ma mère, des souvenirs d’ambiance, que j’ai essayé de retranscrire.
[Entretien réalisé par courrier électronique entre Février et Juin 2005 pour Xeroxed.be, prolongé en Janvier 2008.]
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